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Photo du rédacteurIgor Robinet-Slansky

4 FÉVRIER 1794: 1ère ABOLITION DE L’ESCLAVAGE EN FRANCE. HISTOIRE DE L’ESCLAVAGE EN FRANCE



Le 4 février 1794, il y a 230 ans cette année, en pleine Révolution, la Convention Nationale (Assemblée élue au suffrage universel masculin en septembre 1792 qui instaurera la 1ère République) vote l’abolition de l’esclavage dans toutes les colonies françaises.

 

Le décret du 4 février 1794 (ou 16 Pluviôse de l’an II selon le calendrier révolutionnaire alors en vigueur) ne sera qu’une victoire éphémère sur les siècles d’esclavagisme porté par les puissances européennes et américaines, puisqu’en 1802, Napoléon Bonaparte, alors Premier Consul, reviendra sur cette abolition, rétablissant l’esclavage et la traite en dehors de la France métropolitaine. Il faudra ainsi attendre le 27 avril 1848 pour que la fragile 2e République abolisse définitivement l’esclavage. Mais comment est-on arrivé à la fin de cet esclavagisme séculaire?

 

Pour mieux comprendre les combats contre l’esclavage, et mieux connaître ceux qui, partisans comme opposants, ont participé à son histoire, je vous invite à visiter l’exposition «Oser la liberté - Figures des combats contre l'esclavage» au Panthéon, à Paris. Organisée par le Centre des monuments nationaux et la Fondation pour la Mémoire de l'Esclavage, elle se tient jusqu’au 11 février 2024 dans la crypte où reposent certaines des personnalités qui ont mené à l’abolition de l’esclavage, comme l’abbé Grégoire, Condorcet, Toussaint Louverture, ou encore Victor Schoelcher…



Une exposition complétée par celle de l’artiste contemporain Raphaël Baronti, «We could be heroes». Dans la nef du Panthéon, cette installation monumentale composées de peintures, de drapeaux et de bannières, propose un panthéon imaginaire de héros d’aujourd’hui.

 

DES SIÈCLES D’ESCLAVAGE AU SERVICE DE L’ÉCONOMIE MONDIALE

 

Revenons d’abord brièvement sur l’histoire de l’esclavagisme lui-même. Dans la plupart des civilisations, depuis l’Antiquité, l’esclavage a fait partie de l’organisation de la société, s’inscrivant comme l’un des chaînons d’un système économique basé sur le travail forcé et une main d’œuvre disponible à merci. Ainsi, contrairement aux serfs, aux prisonniers ou aux forçats, l’esclave n’a aucun statut juridique en tant qu’individu. Å l’image d’une marchandise dénuée de toute dignité humaine, il s’achète sur un marché, se revend, se transporte et s’exploite. Ce commerce, c’est ce qu’on appelle la traite. L’esclave, condamné à obéir, appartient littéralement à un propriétaire, son maître, et ne dispose ainsi d’aucune liberté. Si à l’origine, les esclaves pouvaient être de toutes origines, la couleur de leur peau, en Grèce comme à Rome, n’étant pas caractéristique de leur statut, c’est avec la conquête coloniale et la traite des esclaves d’Afrique que la peau noire devient un élément justifiant la condition servile.



Il existe ainsi, dans l’histoire, trois types de traites: la traite orientale ou arabe, dans laquelle les esclaves africains sont vendus aux puissances arabo-musulmanes ; la traite intra-africaine qui, comme son nom l’indique, consiste en un commerce d’esclaves entre royaumes ou pays d’Afrique ; et la traite occidentale ou atlantique, où les puissances européennes viennent se fournir en esclaves africains pour leurs colonies. C’est cette dernière traite qui nous intéresse plus particulièrement aujourd’hui.



En effet, c’est surtout au 16e siècle que les principaux royaumes européens vont organiser et systématiser la traite des esclaves, en même temps qu’elles étendent leurs possessions coloniales. Car la colonisation s’accompagne bien souvent du massacre des populations autochtones et de l’apport de maladies qui déciment les habitants, et donc la potentielle main d’œuvre locale. Il a donc fallu trouvé un moyen de renforcer le nombre de travailleurs sur les nouvelles terres: la traite des esclaves sera la ‘solution’ privilégiée. Un commerce dit triangulaire, appelé aussi traite négrière, va alors se mettre en place et se développer: les Européens se rendent en Afrique pour acheter des esclaves noirs. De là, ils embarquent avec eux jusque dans leurs colonies américaines -notamment aux Antilles- ou asiatiques, d’où ils reviennent avec de précieuses marchandises qu’ils revendront en Europe -sucre, épices…

 

Les intérêts économiques et géopolitiques l’emporteront longtemps sur la moralité. Et pendant des siècles, l’opinion publique comme les dirigeants ne verront aucun inconvénient à déporter des millions d’Africains pour les exploiter -on parle au global de 13 millions d’êtres humains en 400 ans.

 

Cependant, il faut noter dès le Moyen-Âge l’existence de tentatives, non pas d’abolition de la traite ni de l’esclavage, mais d’interdiction de certaines pratiques. Ainsi, au 7e siècle, la reine des Francs, Sainte Bathilde, proclame que la vente d’esclaves chrétiens est illégale dans son royaume. De même, l’édit du 3 juillet 1315, promulgué par le roi Louis X (1289-1316), impose l’affranchissement de tout esclave arrivant sur le sol français. Il s’agit ici surtout de libérer les derniers paysans non affranchis, et de limiter la traite des populations slaves qui transitaient par l’Europe avant de gagner le Maghreb. D’ailleurs, on notera que le mot esclave vient du latin médiéval sclavus, en référence à l’origine slave des principaux esclaves du Haut Moyen-Âge (622-800) venus des Balkans. Enfin, en juin 1537, le Pape Paul III tentera de s’opposer à l’esclavage en dénonçant une incompatibilité avec les principes chrétiens, mais en vain.

 


Tous ces efforts ne seront donc pas suffisants, et les prises de consciences ne s’appliqueront peu voire pas à la traite des noirs africains qui se renforce au fil des siècles. À tel point qu’en 1685, en France, Louis XIV (règne 1643-1715) et son principal ministre, Jean-Baptiste Colbert (1619-1683), mettront en place ce qu’on appellera le Code Noir qui dérogera à la loi de 1315 dans les nouvelles colonies. Ce Code Noir doit règlementer précisément la traite négrière afin de garantir sa pérennité et son développement pour renforcer la puissance économique du royaume, et pour cela, il définit un statut juridique pour les esclaves des colonies françaises. La société coloniale est ainsi divisée juridiquement entre les «hommes libres» (les Blancs, les métis – appelés aussi ‘mulâtres’ ou ‘sangs-mêlés’- et les Noirs nés libres ou affranchis -dans certains cas cela était possible), et les «non libres» (Noirs ou métis). Ces derniers sont officiellement considérés comme des biens meubles, à mi-chemin entre l’individu et l’objet. Et si le code ajoute des dispositions pour ‘protéger’ les esclaves, ou tout au moins tenter de limiter les pouvoirs de leur maître (interdiction de la torture, possibilité pour l’esclave de se plaindre à un juge en cas de maltraitance…), cela n’aura aucune véritable réalité sur le terrain.



Quoi qu’il en soit, ces règles seront similaires dans l’ensemble des colonies européennes, le commerce triangulaire étant, à cette époque, le garant de la richesse des grandes puissances, de l’Angleterre à l’Espagne, en passant par le Portugal et bien sûr le royaume de France.

 

Ce sera le cas également dans les colonies britanniques d’Amérique, qui, en devenant les États-Unis après la guerre d’Indépendance entre 1776 et 1783, continueront, de manière inégale selon les états, la promotion de l’esclavage et contribueront à alimenter les marchés d’esclaves, malgré l’institution d’une république supposée égalitaire.

 

Pour les esclaves déportés le sort est le même, quelles que soient leurs nouvelles terres d’accueil -ou plutôt leur lieu d'abandon et de servitude. Dès qu’ils arrivent, ils doivent une obéissance inconditionnelle à leurs maîtres. Ils ont interdictions de chanter, danser, ou de perpétuer quelque tradition culturelle ou religieuse que ce soit, héritée de leur pays d’origine. Ils ne doivent plus parler leur langue maternelle, et surtout ne doivent jamais se rebeller. Comme toujours, l’être humain est plein de ressources et, on le sait, les esclaves se créeront leurs propres cultures et leurs langage (le Créole par exemple) pour contourner les interdictions et tenter de garder un peu de dignité.

 


ÉMERGENCE ET VICTOIRE DU MOUVEMENT ABOLITIONNISTE

 

S’il faut attendre le 18e siècle pour que le point de vue sur l’esclavage évolue, il faut cependant aussi savoir que, de sa naissance jusqu’à son abolition, les contestations n’ont cessé d’exister, en particulier du côté des premiers concernés: les esclaves eux-mêmes.

 

En effet, et c’est évidemment humain, les esclaves ont de tout temps tenter d’échapper à leur sort: par la fuite hors des plantations, appelée le «marronage»; par le suicide (certains sautaient des bateaux); par l’empoisonnement de leurs maîtres, par des révoltes, ou encore par le refus de l’enfantement (certaines femmes esclaves se faisaient ainsi avorter pour éviter que leurs enfants ne subissent le même sort qu’elles. Ici, il s’agissait notamment des enfants issus des viols qu’elles subissaient régulièrement de la part de leurs maîtres et qui, par principe, étaient considérés comme esclaves à la naissance).

 

Bien sûr, toutes ces tentatives de rebellions ou d’opposition étaient durement jugées et punies par l’emprisonnement, les coups ou la mort, et la terreur dans laquelle vivaient les esclaves étaient ininterrompue.

 

Face à ces conditions inhumaines, vont naître en Europe les premiers mouvements antiesclavagistes, tout particulièrement en Angleterre et en France à la fin du 18e siècle. Un premier mouvement, plutôt anglais, va s’appuyer sur les textes chrétiens, et notamment ceux de la Genèse, pour démontrer qu’un esclave est un homme comme un autre. Partant du constat que tout être humain est le fruit de l’union d’Adam et Ève, il ne peut y avoir de hiérarchie entre les hommes qui sont tous frères. Un second courant de pensée, plutôt français, trouve ses racines dans la philosophie des Lumières: le droit de la nature impose logiquement que les hommes sont égaux, qu’il ne peut être question de races, et qu’ainsi, aucun individu ne peut être supérieur à l’autre. Cette égalité universelle, révolutionnaire, est alors portée par des philosophes comme Diderot, Voltaire et Condorcet, ou encore l’Abbé Grégoire qui conjuguera à la fois les aspects religieux et moraux. Pour la première fois, il ne s’agit plus de remettre en cause seulement certains aspects de l’esclavage (la violence, la traite…) comme cela a pu être le cas dès la fin du 17e siècle, mais de condamner le principe même de l’esclavagisme comme crime contre l’humanité (même si le terme n’existe pas encore).



À ces valeurs morales s’ajoutent de nouveaux préceptes économiques. En effet, là où l’esclavage était l’un des rouages essentiels du système commercial et l’une des conditions sine qua non d’une économie puissante, les nouveaux économistes comme François Quesnay ou le libéral Adam Smith démontrent son inefficacité. En effet, alors que la loi de l’offre et de la demande devient le moteur de croissance économique dans cette période de pré-révolution industrielle, le travail forcé apparaît contre-productif. Pour augmenter la demande, il vaut mieux une main d’œuvre salariée, motivée, qui pourra ensuite dépenser l’argent qu’elle gagnera en travaillant, plutôt que des esclaves qui sont bien souvent affaiblis et démotivés par leurs conditions de vie et de travail -et donc moins productifs. Par ailleurs, alors que les insurrections se multiplient dans les colonies, certains mettent aussi en lumière la nécessité de légiférer pour plus de liberté, afin d’éviter les violences comme les destructions, et de préserver ainsi les cultures et le commerce.


Les premières sociétés antiesclavagistes naissent aux États-Unis et se mettent en place dans certains états dès la fin des années 1770, notamment sous l’égide de Benjamin Franklin. Un phénomène qui va s’amplifier après la guerre d’Indépendance (1775-1783) mais pour autant ne se cantonner qu’aux états possédant peu voire pas d’esclaves (plutôt au nord, donc).



L’Angleterre suit le mouvement, et en avril 1787, le Comité pour l’abolition de la Traite est fondé par William Wilberforce et Thomas Clarkson. À coup de campagnes de communication, ce comité et ses idées gagnent en popularité. En 1789, une loi, appuyée par une pétition, est alors proposée au Parlement pour abolir la traite des esclaves, mais les lobbys du commerce et des colonies, très solides, réussissent à renverser le mouvement, menant au statu quo.

 

Dans cette même période, le 19 février 1788, est créée en France la Société des amis des Noirs par Jacques-Pierre Brissot (publiciste aux idées républicaines) et Étienne Clavière (grand financier). Inspirée des idéaux abolitionnistes anglais et américains, cette société entend porter le message antiesclavagiste auprès des dirigeants. Sa devise est claire: «Ne suis-je pas un homme? un frère?», sous-entendu, nous sommes tous égaux. Ses membres, parmi lesquels Mirabeau, La Fayette, Sieyès, Condorcet et l’abbé Grégoire, prônent l’abolition immédiate de la traite et une suppression progressive de l’esclavage. Des idées qui trouvent une résonnance dans les principales puissances coloniales de l’époque.

 


En France, en Angleterre ou aux États-Unis, on entendait ainsi arriver progressivement à l’abolition totale de l’esclavage, plutôt que par une seule loi brutale, notamment par crainte d’un éventuel désordre (violences, pilages) si les esclaves étaient tous affranchis d’un coup: d’abord on comptait faire voter l’interdiction de la traite (commerce) des esclaves, puis leur octroyer graduellement leurs libertés en les accompagnant pour qu’ils s’accoutument à leur nouveau statut. Mais c’était sans compter sur les esclaves eux-mêmes qui allaient prendre leur destin en mains, encouragés entre autres par les idées portées par les Lumières et la Révolution française qui s’annonce.

 

En effet, face aux problématiques financières et politiques que traversent le royaume, Louis XVI est contraint de convoquer les États Généraux le 4 mai 1789. Les trois ordres qui composent la nation -Noblesse, Clergé, Tiers-Etat, se réunissent ainsi à Versailles, dans l’Hôtel des Menus Plaisirs, pour parler entre autres, de réformes. Les membres de la Société des amis des Noirs, fervents réformateurs, voient ici l’opportunité d’imposer leur point de vue et de proposer de légiférer sur l’esclavage.



Après la création de l’Assemblée Nationale par les députés du Tiers-État, le 17 juin 1789, et la proclamation du serment du Jeu de Paume, le 20 juin, où l’Assemblée s’engage à offrir une nouvelle constitution à la France, c’est l’abolition des privilèges qui est votée le 4 août, suivie, le 26, par la proclamation de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. C’est ainsi la fin de la société d’ordres qui structurait la France depuis le Moyen-Âge, mais c’est aussi et surtout, comme le précise l’article 1, le début d’une société où «les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit».


A partir de là, l’esclavage et la traite sont, de fait et juridiquement hors la loi. Début mars 1790, devant la Société des amis des Noirs, Mirabeau prononce un discours poignant où il marque les esprits et les consciences en comparant les bateaux négriers à des cercueils flottants, et en expliquant que les esclaves noirs sont bien «des animaux quand il s’agit de servir, et des hommes quand il s’agit de souffrir». Ce discours devait être lu devant les députés de l’Assemblée, mais les milieux coloniaux étant encore très puissants, le débat n’aura pas lieu. La route vers la fin de l’esclavagisme semble encore longue.


Ainsi, il faut attendre le 27 juillet 1793 pour qu’une proposition de l’abbé Grégoire soit votée et supprime les primes accordées pour la traite des esclaves. Une maigre avancée qui tend, cependant, à limiter le commerce négrier.

 

Finalement, la voie vers l’abolition partira des colonies et des esclaves eux-mêmes. La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen a en effet traversé l’Atlantique. Les «libres de couleur», soit les métis et les Noirs libres ou affranchis, qui sont, pour certains, propriétaires de plantations et d’esclaves, exigent désormais les mêmes droits que les colons blancs. Face au refus qu’on leur oppose, les ‘libres de couleur’ de Saint-Domingue vont s’insurger au début de l’année 1791. Une insurrection qui, réprimée dans le sang, échouera, mais sèmera les graines d’une révolte plus massive à venir.



En effet, les débordements du début d’année ont divisé les maîtres d’esclaves, qu’ils soient blancs ou libres de couleur, laissant plus de liberté d’action aux esclaves eux-mêmes. L’insurrection commence ainsi dans la nuit du 22 au 23 août 1791. Pour la contrer, l’Assemblée envoie des représentants et l’armée qui doivent calmer le jeu; et le 4 avril, un décret est voté pour accorder les mêmes droits aux hommes blancs et aux hommes libres de couleur, l’idée étant que s’ils associent leurs forcent, ils pourront plus facilement rétablir l’ordre. Mais les colons blancs ne l’entendent pas ainsi et refusent son application. En septembre 1792, trois commissaires arrivent alors depuis Paris pour tenter d’imposer le décret et faire respecter la loi: Léger-Félicité Sonthonax, Étienne Polverel et Jean-Antoine Ailhaud.


Mais les difficultés s’accumulent: les divisions sont toujours très fortes entre les libres de couleurs et les Blancs, la révolte des esclaves continuent, et la guerre des puissances étrangères contre la France révolutionnaire qui sévit en métropole a gagné les colonies, les troupes de Saint-Domingue devant désormais affronter l’Espagne, la Hollande et l’Angleterre.

 

Face à cette situation qui dégénère, et afin de rassembler toutes les forces contre les armées étrangères, les commissaires n’ont plus le choix: sans attendre l’aval de la Convention Nationale (assemblée qui gouverne la France depuis l’établissement de la 1ère République le 21 septembre 1792), ils proclament l’abolition immédiate et sans condition de l’esclavage à Saint-Domingue le 29 août 1793. L’ensemble de la population, libérée, peut zinsi s’allier aux forces armées pour combattre les ennemis.

 

Trois députés sont alors élus pour représenter le peuple de Saint-Domingue à l’Assemblée: un Blanc, Louis-Pierre Dufaÿ, un ‘sang-mêlé’, Jean-Baptiste Mills, et un Noir, Jean-Baptiste Belley. À leur arrivée à Paris en janvier 1794, ils sont immédiatement arrêtés comme ‘représentants d’une colonie rebelle’. Libérés quelques jours après, ils entrent le 4 février 1794 à l’Assemblée, où pour la première fois, siègera un homme noir, Jean-Baptiste Belley. Ce même 4 février 1794 (ou 16 pluviôse an II), après un long discours expliquant le déroulé des événements qui ont conduit à l’abolition de l’esclavage à Saint-Domingue, la Convention Nationale prend une décision inédite et historique: l’abolition immédiate de l’esclavage est légalisée à Saint-Domingue et étendue à l’ensemble des colonies françaises. Les hommes et les femmes, esclaves ou non, de ces territoires deviennent des citoyens et citoyennes égaux en droit à celles et ceux de la métropole.



L’application de la nouvelle loi est complexe, mais sera effective à Saint-Domingue, donc, puis en Guadeloupe (11 décembre 1794) et en Guyane. Elle ne s’appliquera pas, cependant, ni à la Martinique, passée aux mains des Anglais en juillet 1793, ni à l’île de France (actuelle île Maurice) et à la Réunion, où les colons auront gain de cause.

 

La nouvelle constitution de l’an III (1795) inscrit l’abolition de l’esclavage comme principe pérenne, et affirme l’unité législative entre les colonies et la métropole. La loi du 1er janvier 1798 (12 nivôse an VI) intègre à la république les colonies qui deviennent des départements où le retour de l’esclavage devient impossible.

Mais c’était sans compter sur l’arrivée au pouvoir d’un certain Napoléon Bonaparte qui, en 1802, rétablira l’esclavage dans les colonies françaises. Il faudra ainsi attendre la 2e République, et le décret du 27 avril 1848, promulgué à l’initiative de Victor Schoelcher, sous-secrétaire d’État aux colonies, pour que l’abolition de l’esclavage soit définitive en France.

1802: L’ESCLAVAGE EST RÉTABLI

 

Après un coup d’État le 18 brumaire de l’an VIII (9 novembre 1799), le général Napoléon Bonaparte prend la tête de l’État français et devient Premier Consul. Le nouveau chef d’État a de grandes ambitions coloniales pour enrichir son pays, mais aussi concurrencer les puissances économiques britanniques et américaines.



En 1800, la France vient justement de signer un traité secret avec l’Espagne, le Traité de San Ildefonso, qui lui permet de récupérer l'ouest de la Louisiane. Pour développer ce nouveau territoire, et rattraper économiquement et commercialement le retard pris par les Français sur les Anglais et les Américains, Napoléon a besoin de deux choses: d’une part, il doit positionner des troupes et une administration non loin des nouveaux territoires, et Saint-Domingue lui semble idéale pour cela; et d’autre part, il lui faut une main d’œuvre pas chère et servile pour rapidement exploiter les nouvelles richesses territoriales, soit des esclaves.

 

Bonaparte, influencé par les colons et les milieux de la marine et du commerce, décide, par la loi du 20 mai 1802, de maintenir l’esclavage où il n’a pas été aboli -en Martinique, redevenue française, et dans l’Océan Indien. Mais cela ne suffit pas, et il décide d’imposer le rétablissement de l’esclavage par la force, en Guadeloupe, d’abord, puis à Saint-Domingue.



S’il réussit en Guadeloupe, Napoléon va se heurter à de réels obstacles à Saint-Domingue, et notamment à la volonté d’un homme, Toussaint Louverture (1743-1803). Ancien esclave affranchi en 1776, Toussaint Bréda dit Louverture est un homme libre de couleur. Après avoir participé à l’insurrection de 1791, et après l’abolition de l’esclavage, il s’allie aux forces républicaines et dirige une armée de 4000 hommes, anciens esclaves pour la plupart, qui aideront la France à remporter la guerre contre les Espagnols en 1795. Le 31 mars 1796, il est nommé lieutenant-gouverneur de Saint-Domingue, et après avoir négocié la reddition des Anglais qui occupaient encore une partie de l’île, Toussaint Louverture finit par s’imposer comme le réunificateur. Pour le remercier, Napoléon Bonaparte le nomme capitaine-général de Saint-Domingue, le 4 mars 1801, faisant ainsi de lui la deuxième personnalité la plus importante de la colonie après le représentant officiel de la France sur place.



Confiant, Toussaint Louverture, décide de doter Saint-Domingue d’une constitution propre, prenant ses distances face à un État français qui, depuis le début du Consulat, est revenu sur les acquis de la Révolution et a réinstauré un régime d’exception dans les colonies. Si Saint-Domingue reste française, elle doit, selon lui, gagner en autonomie. La nouvelle constitution du 8 juillet 1801 le nomme ainsi gouverneur à vie, et établit la liberté générale, réaffirmant l’interdiction de l’esclavage sur l’ensemble de l’île.



Apprenant cela, Napoléon est furieux, et envoie le général Leclerc et ses troupes pour rétablir l’ordre et par la même occasion, l’esclavage. Elles débarquent en février 1802, Toussaint Louverture est capturé en juin, puis emprisonné au fort de Joux dans le Jura, où il décède le 7 avril 1803. La lutte pour l’indépendance de Saint-Domingue ne s’arrête pas pour autant. Jean-Jacques Dessalines, ancien lieutenant de Toussaint, poursuit les combats. Décimée par la fièvre jaune, les armées du commandant Rochambeau -qui remplace Leclerc, mort à son tour- sont contraintes de capitulées le 18 novembre 1803. L’esclavage n’est pas rétabli, et Jean-Jacques Dessalines proclame l'indépendance de Saint-Domingue, qui devient la République d’Haïti le 1er janvier 1804.

 

Quoi qu’il en soit, la France, qui était en avance sur son temps avec son décret du 4 février 1794, a fait un grand pas en arrière avec la loi de 1802, laissant les devants à l’empire britannique. Ainsi, alors que la France napoléonienne autorise de nouveau la traite et l’esclavage, l’Angleterre, elle, progresse vers leur abolition et vote une loi interdisant le commerce d’esclaves le 2 mars 1807. Les États-Unis de Thomas Jefferson en feront autant le 3 mars 1807. La France devra, elle, attendre le 27 mars 1815 et le retour de l’île d’Elbe de Napoléon pour mettre fin à la traite des esclaves. Une position qui fait suite aux engagements pris par les grandes puissances européennes, dont la France, lors du traité de Vienne qui, le 18 février 1815, proclame le principe d’abolition universelle de la traite.

 

Par la suite, face aux insurrections dans ses colonies et à une opinion publique de plus en plus informée, l’Angleterre devient la première puissance coloniale à voter une loi d’abolition progressive de l’esclavage le 1er août 1833. La France, de son côté, ne légifèrera pas sur ce sujet avant longtemps, ni sous la Restauration (1815-1830), ni sous la Monarchie de Juillet de Louis-Philippe (1830-1848). Cependant, les idées abolitionnistes continuent d’imprégner la société et de gagner du terrain, notamment sous l’impulsion de la Société française pour l’abolition de l’esclavage créée en 1834. Parmi ses membres, on compte des républicains, tels Lamartine, Ledru-Rollin ou encore Victor Schoelcher, mais aussi des orléanistes, comme Alexis de Tocqueville. Tous prônent une abolition non immédiate et progressive de l’esclavage, à l’image de celle promue en Angleterre. Il faut dire qu’ils ont encore en mémoire les débordements violents qui ont conduit à la perte de Saint-Domingue.

 

Mais c’était sans compter sur l’intervention de Victor Schoelcher (1804-1893). Ce commercial devenu journaliste, partisan de l’abolition progressive de l’esclavage, va radicalement changer d’avis après son séjour aux Antilles de mai 1840 à juin 1841. Devant les conditions de vie et de traitement des esclaves qui, en réalité, n’ont quasiment pas bougé depuis l’Ancien régime, il est révolté. De retour en France, il se prononce pour l’abolition totale et immédiate de l’esclavage dans les colonies françaises.



Son engagement abolitionniste le conduira au poste de sous-secrétaire d'État à la Marine et aux colonies dans le gouvernement provisoire de la toute jeune et fragile 2e République établie en février 1848. Il devient également le président de la commission d'abolition de l'esclavage, et initie le décret du 27 avril 1848 qui met définitivement fin à l’esclavage en France. Ce décret d’abolition de l’esclavage, signé dans le salon Diplomatique de l'Hôtel de la Marine, place de la Concorde, vaudra à Victor Schoelcher d’entrer au Panthéon en 1949, soit un peu plus de 100 ans après.

 

La marche vers l’abolition a été longue, jonchée d’obstacles, de ralentissements et de retours en arrière. Et si le 4 février 1794 marque une victoire à la fois idéologique et politique, c’est bien le 27 avril 1848 qui ancre la fin de l’esclavage séculaire, en France -comme dans les pays occidentaux qui l’ont précédée ou suivie. Mais l’esclavage n’est pas aboli pour autant partout dans le monde. En effet, en 2021 l’Organisation Internationale du Travail estimait que cinquante millions de personnes vivaient dans l'esclavage moderne, parmi lesquelles 28 millions étaient soumises au travail forcé et 22 millions étaient piégées dans un mariage forcé.

 

SOURCES

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