Vous le savez sûrement, au théâtre, quand on veut se situer dans l’espace scénique, on ne dit pas «côté gauche, côté droit» mais «côté cour, côté jardin», le côté cour se trouvant à gauche lorsque l’acteur regarde la salle, et le côté jardin, à droite. Cette expression fait désormais partie de notre vocabulaire courant, mais saviez-vous que son origine n’est pas si lointaine? Elle date en effet de la fin de 18e siècle, et n’a été réellement popularisée qu’après la Révolution française. Je vous propose de découvrir pourquoi.
En ces années prérévolutionnaires, les idées humanistes des Lumières se propagent et les esprits contestataires d’une société de castes peu égalitaire se multiplient. Parmi les auteurs audacieux de l’époque, Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais (1732-1799), dit simplement Beaumarchais, est certainement le plus connus de cette fin du 18e siècle. Sa pièce la plus célèbre ‘Le Mariage de Figaro’, critique ouvertement les injustices sociales et prône la liberté d’opinion. A tel point qu’elle sera d’ailleurs interdite par la censure royale lors de sa création en 1778, avant d’être autorisée finalement en 1784.
Marie-Antoinette finira d’ailleurs par donner une représentation du Mariage de Figaro dans son Petit Théâtre de Versailles en 1785. Une représentation où elle jouera le rôle de la comtesse Almaviva, ce personnage noble qui, pour l’intrigue, échangera sa place avec sa femme de chambre. Cette inversion des statuts créera d’ailleurs la polémique au sein de la cour de France et de la population, d’autant plus qu’elle est incarnée par la reine elle-même, dans un temps propice à la contestation.
Justement, notre anecdote commence cette année-là, en 1784. Alors que les sociétaires de la Comédie Française se préparent à répéter le Mariage de Figaro, les travaux non-achevés du nouveau théâtre de l’Odéon où ils doivent jouer, et le manque de place, les poussent à organiser les répétitions au Palais des Tuileries, dans la salle des machines, cette ancienne salle de spectacle du château également appelée Théâtre des Tuileries.
Or pour que la troupe, et surtout les techniciens et machinistes se repèrent, on va trouver un moyen simple et approprié pour les lieux: à gauche, lorsque l’on regarde la salle depuis la scène, se trouve la cour du Louvre. On dira alors que l’on se place «côté cour». À droite, en revanche, la salle donne sur le jardin des Tuileries. On nommera alors ce côté droit de la scène, le «côté jardin». C’est aussi simple que ça!
Pour comprendre pourquoi on a gardé cette expression, il faut savoir qu’auparavant, on désignait le côté gauche (la cour, donc), par le «côté de la Reine», et le côté droit (le jardin), par le «côté du Roi», en référence à l’emplacement de leurs loges respectives se faisant face de part et d’autre de la scène. Or la révolution et ses idées arrivant, on a choisi d’utiliser des termes dénués de sens royaliste, et les formules «côté cour, côté jardin» sont restées.
Pour s’en rappeler, les acteurs utilisent un moyen mnémotechnique simple: lorsqu’ils sont face à la salle, le côté cour se trouve côté cœur, soit à gauche, et le côté jardin, avec un D comme ‘Droite’, se trouve donc côté droit.
Pensez-y la prochaine fois que vous irez au théâtre!
Et retrouvez ici l'article et le podcast de ma visite du Petit Théâtre de la Reine à Versailles.
Sources
« Petit dictionnaire des expressions qui sont nées de l’Histoire » par Gilles Henry, collection Texto, éditions Tallandier
le site anecdotrip