A l’occasion du 260e anniversaire de la naissance de Joséphine de Beauharnais, la célèbre impératrice des Français qui régnera aux côtés de Napoléon 1er entre 1804 et 1809, je vous propose de revenir sur l’une de ses passions bien connues: la mode. Une passion onéreuse qu’elle gardera jusqu’à la fin de sa vie et qui n’aura de cesse de mettre l’empereur en colère.
Mais avant cela, revenons rapidement sur le parcours atypique et sur la personnalité détonante de Joséphine, de son vrai nom Marie Josèphe Rose Tascher de La Pagerie. Née le 23 juin 1763 aux Trois-Îlets en Martinique, la petite Marie Josèphe Rose grandit dans la plantation de cannes à sucre familiale, sous le soleil des Antilles. Elle y mène une vie à des milliers de kilomètres de la métropole, jusqu’en 1779 où, promise au vicomte Alexandre de Beauharnais (1760-1794), elle vogue vers Paris, cette capitale encore inconnue et pleine de promesses pour une jeune fille de 16 ans. Elle l’épouse le 13 décembre 1779, et avec lui, a 2 enfants: Eugène (1781-1824) et Hortense (1783-1837) de Beauharnais.
Cependant, leur mariage est difficile. Les deux époux ne s’entendent pas et Alexandre de Beauharnais, qui mène une carrière militaire plus ou moins glorieuse, est souvent absent. Finalement, alors qu’il suspecte sa femme de le tromper, il quitte la métropole pour la Martinique avec sa maîtresse, et exige de retirer ses enfants à leur mère. Mais face aux plaintes de sa femme portées devant la justice, il sera contraint de verser une pension à Joséphine et de lui concéder la garde de leurs enfants.
De son côté, celle que l’on n’appelle pas encore Joséphine, et qui est de plus en plus introduite dans les cercles mondains parisiens, se retrouve cependant de plus en plus désargentée. Elle décide alors de fuir avec sa fille en Martinique où elles vivront trois années avant que la Révolution, qui éclate en métropole en 1789, ne gagne les Antilles et ne les force à revenir à Paris. Là, elle retrouve les cercles influents de la capitale. Mais le 19 avril 1794, celle qui est encore la vicomtesse de Beauharnais est arrêtée et rejoint Alexandre à la prison des Carmes où il est incarcéré depuis janvier, avant d’être guillotiné le 23 juillet 1794. Joséphine, elle, échappe de peu à la guillotine. Elle est libérée le 6 août de la même année, alors que la mort de Robespierre le 28 juillet précédent a mis fin à la Terreur qui régnait en France.
Après les troubles révolutionnaires, avec grâce et force de personnalité, elle devient vite une femme d’influence et retrouve son rang. À coups de relations habiles et grâce au soutien de personnalités importantes, elle récupère une partie des biens confisqués d’Alexandre de Beauharnais et se rétablit financièrement. Dans le même temps, le 26 octobre 1795, la Convention Nationale qui avait rédigé la première constitution républicaine en 1792, et qui dirigeait alors, est remplacée par le Directoire, un système politique qui met à la tête du pays Cinq Directeurs, ou chefs de gouvernement, avec comme objectif d’éviter les batailles d’égo et qu’un dirigeant prenne le dessus sur les autres.
Dans cette période plus insouciante qui suit la terreur révolutionnaire, Joséphine fait partie de celles qu’on appelle les Merveilleuses, ces femmes qui rivalisent d’élégance, d’extravagance et de frivolité, comme pour exorciser les angoisses et la tristesse des années passées. Joséphine se fait alors remarquée pour son goût de la mode, et la veuve Beauharnais, comme on l’appelle désormais, attire de nombreux prétendants masculins, jusqu’à un certain Paul Barras (1755-1829). Il est l’un des cinq Directeurs (et possiblement son amant) qui dirige le pays, et on dit surtout qu’il est celui grâce auquel elle rencontrera son futur mari, Napoléon Bonaparte.
En effet, alors qu’il se fait connaître par ses exploits auprès de l’armée révolutionnaire puis républicaine, notamment en réprimant la révolte royaliste du 5 octobre 1795 à Paris, le jeune général Bonaparte fréquente de plus en plus les cercles influents de la capitale.
C’est alors qu’il rencontre Marie Josèphe Rose, veuve Beauharnais. Il existe deux versions de leur rencontre, mais quoi qu’il en soit, c’est en 1795 que Napoléon tombe sous le charme de la jolie brune, si séduisante avec son caractère affirmé. Il va ainsi lui faire une cour passionnée, à coup de lettres enflammées où il l’appelle pour la première fois, simplement et affectueusement, de son deuxième prénom: Joséphine. Si, au départ, cette dernière est plutôt hésitante, ses sentiments vont peu à peu grandir pour ce Général qui, elle le sent, est promu à un grand destin (est-ce cela d’ailleurs qui l’intéressera aussi? Sûrement, mais pas seulement).
Nommé Général en Chef de l’armée d’Italie, Napoléon précipite le mariage avant de partir en campagne. Les deux amants se marient en petit comité le 9 mars 1796 à 20h à l’Hôtel de Mondragon (dans le 2e arrondissement). Napoléon arrive avec 2 heures de retard en disant « mariez-nous vite ! ». En 30 minutes c’est fait! Pas de fête, pas de dîner. Un mariage uniquement civil et expéditif.
Les 2 jeunes époux prennent cependant des libertés dans la rédaction de leur acte de mariage:
Joséphine, qui est plus âgée (32 ans), se rajeunit de 4 ans, et Napoléon (27 ans) se vieillit d’un an, afin de réduire leur différence d’âge.
Bonaparte se nomme ici également «Général en chef de l’Armée de l’intérieur», quand il n’est que «Général en chef de l’Armée d’Italie».
Et Alexandre de Beauharnais est cité comme présent alors qu’il est décédé 2 ans plus tôt.
Napoléon et Joséphine ne se marieront religieusement que 8 ans plus tard dans la Chapelle des Tuileries, 2 jours avant le célèbre sacre du couple impérial, le 2 décembre 1804 en la cathédrale Notre-Dame de Paris: ce mariage religieux est en effet indispensable pour que le couple soit sacré Empereur Napoléon 1er et Impératrice Joséphine par le Pape Pie VII qui a fait le déplacement tout spécialement de Rome. Entre temps, Napoléon était devenu Premier Consul en 1799 et donc l’homme le plus puissant de l’État français, avant de faire voter son consulat à vie, puis l’instauration de l’Empire via un plébiscité en sa faveur. Joséphine avait donc vu juste sur le destin hors du commun de son époux.
Leur mariage durera 13 ans. En effet, le 15 décembre 1809, Napoléon divorce d’une Joséphine qui ne peut lui donner d’héritier. Bien que toujours amoureux, il se remarie en 1810 avec Marie-Louise d’Autriche, petite-nièce de Marie-Antoinette, qui lui donnera un fils, dit l’Aiglon ou Roi de Rome, et qui assure la continuité de la dynastie impériale. Retirée dans son château de la Malmaison où elle mène une vie de mondanités quasiment impériales, notamment grâce à la pension et aux sommes colossales que Napoléon accepte de lui verser, Joséphine meurt prématurément d’une pneumonie le 29 mai 1814. Napoléon, alors en exile sur l’île d’Elbe après son abdication au mois d’avril précédent, est fortement attristé et pleure celle qui aura été l’amour de sa vie.
Revenons maintenant à l’anecdote du jour. Comme on l’a vu, Marie Josèphe Rose est déjà une grande amatrice de mode avant sa rencontre avec Napoléon. Elle sait déjà jouer de ses atours et de ses atouts esthétiques pour se faire remarquer et se faire une place dans la haute société de son époque. Mais c’est son mariage avec Napoléon Bonaparte, puis les moyens dont elle va disposer lorsque ce dernier prend le pouvoir, qui vont permettre à son goût pour la mode d’exploser aux yeux de tous. On dit même que Joséphine aurait dessiné sa propre robe de Sacre!
En tant qu’Impératrice, elle donne ainsi le ton et fait la mode, comme la Reine de France ou les favorites royales le faisaient sous l’Ancien Régime. On pense notamment à la reine Marie-Antoinette (1755-1793), mais aussi à Madame de Montespan sous le règne de Louis XIV(1643-1715), ou encore à Madame de Pompadour et Madame du Barry sous le règne de Louis XV (1715-1774).
Mais Joséphine innove et instaure un style Empire copié dans le monde entier à l’époque. Inspiré de l’Antiquité, le style Empire se compose de robes plus fluides et plus simples. Les lignes suivent et valorisent le corps, tandis que la taille haute remonte sous la poitrine. Quant aux matières utilisées, elles sont nobles et richement brodées, mais la surcharge n’est pas de mise.
Joséphine ne laisse personne lui dicter son style. Elle n’est pas forcément très belle, d’ailleurs, on dit qu’elle ne sourit que très peu car elle n’a pas de belles dents -elle les auraient gâtées à force de boire du sirop de sucre dans son enfance en Martinique. Mais sa grâce et le don qu’elle a de se mettre en valeur lui donnent un charme et une aura qui dépassent les autres femmes de l’époque. Elle devient ainsi l’ambassadrice parfaite de la mode et des savoir-faire français (soieries lyonnaises par exemple).
Mais elle dépense sans compter. On recense plus de 700 robes et 650 paires de chaussures dans sa garde-robe! Elle va même chercher des pièces rares au-delà de l’Europe, lançant ainsi la mode des châles et pachmina en cachemire venus d’Inde. Il est clair que ces dépenses ne plaisent pas à Napoléon qui est parfois contraint d’empêcher volontairement l’accès des marchands à l’appartement de sa femme. Il ira même jusqu’à en emprisonner certains qui auraient trop pousser Joséphine à la consommation. Mais, tout amoureux qu’il est de son épouse, Napoléon finit toujours par régler la note.
Pour justifier ses dépenses, Joséphine avait l’habitude de rétorquer à ceux qui les lui reprochaient -et notamment son mari: «Mais enfin, si je dépense autant, c’est pour soutenir l’économie française!». C’est un point de vue intéressant et qui s’entend, même si ici, ce dévouement semble bien arrangeant pour la victime de mode qu’elle est. Cependant, réellement généreuse, l’Impératrice distribue régulièrement ses vêtements à ses proches ou à ses dames de compagnie. De la seconde-main avant l’heure!
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