Chaque année depuis leur création en 1984, les Journées Européennes du Patrimoine nous ouvrent les portes de nombreux monuments sur l’ensemble du territoire. Leur objectif ? permettre à chacun et chacune de découvrir, explorer et comprendre la richesse de notre patrimoine historique et culturel.
Mais s’il nous paraît aujourd’hui important de sauvegarder et d’entretenir ce patrimoine, qu’il soit matériel ou immatériel, cela n’a pourtant pas toujours été le cas, et cette prise de conscience est même assez récente dans notre histoire.
Savez-vous, alors, de quand date cette politique nationale de préservation et de restauration de nos monuments? Et plus précisément, connaissez-vous l’origine de l’appellation «Monuments Historiques»?
Tout d’abord, il convient de rappeler ce qu’on entend par Monument Historique. Selon la définition officielle du Ministère de la Culture, un Monument Historique est «un immeuble (bâti ou non bâti : parc, jardin, grotte…) ou un objet mobilier (meuble ou immeuble par destination) recevant un statut juridique particulier destiné à le protéger pour son intérêt historique, artistique, architectural mais aussi technique ou scientifique afin qu’il soit conservé, restauré et mis en valeur.»
Tout commence alors à la Révolution française. Avant cet épisode décisif de notre histoire, les édifices, les lieux et les œuvres qui constituent aujourd’hui notre patrimoine national appartenaient pour la plupart à la monarchie, à la noblesse ou au clergé qui les ont entretenus, conservés, parfois transformés ou même démolis, et qui en avaient la charge. Il faut ainsi attendre la fin de la société d’Ancien Régime pour qu’apparaisse la notion de sauvegarde du patrimoine comme on l’entend aujourd’hui.
Que s’est-il alors passé pour que l’on en vienne à soulever cette question de la conservation du patrimoine? En réalité, c’est assez simple. Avec la Révolution et la nationalisation des biens et domaines du roi, de la noblesse et du clergé, la toute nouvelle république française s’est retrouvée avec un nombre impressionnant de lieux et d’objets à gérer -châteaux, jardins, églises, abbayes, œuvres d’art, véhicules, ouvrages, matériel scientifique etc... On le sait, des sessions de ventes aux enchères ont été organisées et un certain nombre de bâtiments ont été réquisitionnés pour les besoins de l’Administration du pays, mais rapidement, on commence à se pencher sur l’avenir des édifices et objets restants : Faut-il les préserver comme témoins de l’histoire? ou bien les détruire comme symbole des privilèges d’Ancien régime -une destruction qui a d’ailleurs alors déjà en partie commencé?
Car souvenons-nous que nous sommes en pleins troubles révolutionnaires. Les monuments existants alors, qu’ils soient administratifs, politiques, religieux ou résidentiels, font tous référence à cette société d’Ancien Régime dont le peuple veut faire table rase. Beaucoup sont donc détériorés voire même détruits dès 1789. D’abord de façon désorganisée, mais aussi et surtout sur ordre de l’Assemblée. Et contrairement à ce que l’on imagine souvent, ce n’est pas (ou rarement) le peuple qui s’engage dans des destructions spontanées, mais bien les députés qui voteront la démolition de nombreux trésors historiques.
Ainsi, le 13 octobre 1790, consciente que le patrimoine contribue à l’identité nationale, et que le préserver devient une question d’intérêt général, l’Assemblée nationale constituante va créer la Commission des Monuments qui doit décider des monuments et œuvres à conserver parmi les biens royaux, nobles et cléricaux nationalisés et inventoriés.
Un premier pas vers la préservation du patrimoine, à ceci-près que cette Assemblée va s’avérée très sélective. Elle va en effet minutieusement sélectionner les lieux et œuvres à garder et celles à dégrader ou détruire, l’idée étant d’anéantir tout ce qui rappelle la monarchie, la société inégalitaire d’ancien régime, le pouvoir de l’Église ou encore ce qui est lié au Moyen-Âge et au féodalisme médiéval -statues, insignes et armoiries, fleurs de lys, mais aussi parfois châteaux, églises, abbayes, tableaux, œuvres d’art, objets…
On va donc, déjà à cette époque, engager la sauvegarde de biens et monuments d’intérêt historique aux yeux des révolutionnaires, comme les œuvres antiques -l’Antiquité reflétant une époque idéalisée de démocratie. Mais on va aussi légalement en détruire beaucoup d’autres, plus emblématiques de l’histoire monarchique du pays et de l’influence de la religion sur le peuple.
Il faut attendre 1793, et l’intervention de l’Abbé Grégoire qui dénonce le vandalisme révolutionnaire. Un néologisme, le ‘vandalisme’, qu’il va inventer en s’inspirant des Vandales, un groupe de tribus germaniques qui seront à l’origine de nombreuses invasions au 5e siècle, et surtout qui, selon le mythe développé à la Renaissance où ils prennent le nom de ‘barbares’, auraient pillé Rome en 455.
Ainsi encouragée par l’Abbé Grégoire, en 1793, l’Assemblée vote un décret pour interdire la destruction des œuvres et bâtiments dignes d’intérêts historiques, artistiques et scientifiques. Un grand pas pour la sauvegarde du patrimoine!
Le mouvement est donc enclenché, et sous le Premier Empire, on accélère le recensement des biens intéressants éparpillés sur le territoire national. Ainsi, une circulaire du 10 mai 1810 envoyée aux préfets par le comte de Montalivet, ministre de l'Intérieur, leur demande de répertorier, via un questionnaire précis, les châteaux, les abbayes, les tombeaux, ou autres «ornements ou débris curieux» qui se trouvent sur leur département, ainsi que les propriétaires ou interlocuteurs à contacter.
Mais c’est en réalité beaucoup plus tard, en 1830, au début de la Monarchie de Juillet (1830-1848) sur laquelle règne le roi des Français Louis-Philippe 1er d’Orléans, que le ministre de l’Intérieur François Guizot crée le poste d’Inspecteur Général des Monuments Historiques.
Son rôle ? Etablir l’importance historique et culturelle des monuments de France et veiller à leur conservation. Le premier à prendre ce poste sera Ludovic Vitet, suivi dès 1834 par Prosper Mérimée qui crée en 1837 la Commission des Monuments Historiques pour inventorier et classer les sites, et répartir les fonds d’aide publique pour leur sauvegarde.
Une liste des monuments en péril est alors établie en 1840 -dont Notre-Dame, confiée à Viollet-le-Duc en 1843- et en 1849, ce sont déjà plus de 3000 édifices qui sont ainsi classés. Cependant, aucune loi n’encadre encore la Commission. Les demandes de restauration sont ainsi peu, voire pas, acceptées par les propriétaires ou les collectivités locales, et quand elles sont réalisées, les rénovations le sont sans que les recommandations initiales ne soient bien suivies.
En réalité, il va falloir attendre la 3e République (1870-1940) et la Loi du 30 mars 1887 pour que l’Etat, via le ministre des Beaux-Arts, soit habilité à classer les monuments et à contraindre les personnes privées comme les collectivités à les entretenir et les restaurer.
La législation sur le sujet va peu à peu évoluer au cours des années suivantes. Mais c’est la loi du 31 décembre 1913 sur les Monuments Historiques qui va réellement améliorer, sécuriser et étendre le cadre des lois précédentes, tout comme la loi Malraux de 1962 qui renforce la législation et crée ce qu’on appelle les secteurs sauvegardés : des zones urbaines qui, par leur caractère historique, esthétique ou justifiant la nécessité d’un travail de conservation, sont soumises à des règles bien précises et à des politiques d’entretien et de rénovation. Parmi les secteurs sauvegardés identifiés alors, la ville médiévale de Sarlat, en Dordogne devient la première ville entièrement restaurée selon les recommandations des Monuments Historiques.
Dans les décennies suivantes, et jusqu’à aujourd’hui, les lois ou décrets favorisants et améliorant la sauvegarde du patrimoine ont été mises en place et améliorées. On pense ici notamment à la création du Code du Patrimoine en février 2004, qui intègre la loi de 1913 et qui rassemble des lois françaises relatives au patrimoine ainsi qu'à certains services culturels.
Profitez du week-end des Journées du Patrimoine pour admirer et découvrir le superbe patrimoine français.
Instructif, voire enrichissant, souvent brillant ! Merci !