Retour au château de Fontainebleau où le 10 juillet 1914, il y a 108 ans, l’ex-Impératrice Eugénie, alors âgée de 88 ans, retrouvait les lieux qui furent jadis ceux du fastueux Second Empire, comme de son bonheur familial. Une dernière visite relatée par l’historien Etienne Chilot dans son très beau livre ‘La Dernière visite’ (éditions Le Charmoiset) rédigé d’après les souvenirs du brigadier et historien Arthur Vincent alors en charge d’accompagner l’impériale visiteuse.
Émouvant et historique, le récit de cette visite d’Eugénie à Fontainebleau ancre ce lieu emblématique de l’Histoire de France dans une réalité toute contemporaine. Mais pourquoi Eugénie est-elle de retour au château?
Revenons quelques jours en arrière. Le 28 juin 1914, alors qu’ils sont en visite à Sarajevo, l’archiduc François-Ferdinand de Habsbourg et son épouse la duchesse de Hohenberg, le couple héritier de l’Empire d’Autriche-Hongrie, sont tués par un jeune nationaliste serbe. Accusant directement la Serbie, l’Autriche-Hongrie lance un ultimatum aux Serbes qui n’acceptent cependant pas les conditions demandées par l’empire, les jugeant inacceptables. Ainsi, soutenu par l’Allemagne, l’Empereur austro-hongrois François-Joseph déclare la guerre à la Serbie le 28 juillet. Une guerre qui, par le jeu des alliances entre puissances européennes, devient la Première Guerre Mondiale.
Apprenant cet assassinat, Eugénie sent venir le souffle de la guerre en Europe. Alors qu’en grande voyageuse, elle se trouve sur son yacht, le Thistle, elle décide de regagner l’Angleterre et sa résidence d’exile de Farnborough Hill en faisant cependant un détour par Paris où l’on accepte de nouveau sa présence.
C’est lors de cette escale qu’elle demande à revoir son cher château de Fontainebleau, sa résidence impériale préférée où, quelques décennies auparavant, avec son époux l’empereur Napoléon III, elle régnait en impératrice, influençant les modes comme la vie culturelle et sociale française et internationale. Un haut lieu de la Fête Impériale où, à partir de 1856, les très courues ‘Séries de Fontainebleau’ accueillent chaque semaine au début de l’été des ‘séries’ d’invités -artistes, écrivains, scientifiques, princes- triés sur le volet. Un palais où elle vit grandir son fils, Napoléon Eugène Louis Jean Joseph Bonaparte, dit Louis-Napoléon et surnommé ‘Loulou’, né le 16 mars 1856 et mort prématurément au combat sous l’uniforme anglais en Afrique du Sud le 1er juin 1879. Ce château où elle est venue pour la dernière fois comme impératrice au printemps 1870, quelques mois seulement avant la chute de l’empire le 2 septembre suivant.
Lorsqu’Eugénie arrive à Fontainebleau ce 10 juillet 1914 vers 14h, elle n’y est pas revenue depuis le 25 octobre 1881, il y a presque 33 ans. Dans la plus grande discrétion et sans aucun doute avec émotion, l’ex-impératrice se présente devant les grilles du château qu’elle se prépare à redécouvrir dans une ultime visite. Elle est seulement accompagnée de trois personnes : le Comte Joseph Primoli, arrière-petit-fils de Joseph Bonaparte, roi d’Espagne et frère de Napoléon 1er; le Comte Charles Colonna-Walewski, fils d’un ministre d’État de Napoléon III; et la duchesse d’Albe, sa nièce.
Commence alors une visite riche de souvenirs pour celle qui rayonna sur le Second Empire pendant près de 20 ans:
de la chapelle de la Trinité où son époux fût baptisé à la galerie François 1er où, se souvient-elle, on faisait du patin à roulettes;
de la chambre à coucher de l’Empereur à la sienne où elle remarque, émue, la disparition des deux commodes de Marie-Antoinette qu’elle aimait et qui ont été déplacées, à regret dit-elle, au Louvre;
de ses salons particuliers comme le Grand Salon de l’Impératrice, aux salons de réceptions, comme le Salon Louis XIII où elle retrouve son coffret de mariage, auparavant, selon la légende, propriété d’Anne d’Autriche, épouse de Louis XIII;
des jardins de Le Nôtre qu’elle aperçoit par les fenêtres à l’étang des Carpes où elle s’assoit, regrettant avec émotion de ne plus y voir sa gondole, vendue à la chute du Second Empire;
de la somptueuse salle de Bal créée par Henri II où des dîners de fêtes étaient donnés par le couple impérial, à la Galerie des Cerfs d’Henri IV rénovée à la demande de Napoléon III;
de la cour Ovale aux appartements intimes de Napoléon 1er et Joséphine qui accueillirent sa mère la comtesse de Montijo…
Eugénie passe deux heures et demie à revoir et revivre son histoire, relatant ici un événement heureux, là un souvenir émouvant. L’ex-impératrice ne souhaite cependant pas se rendre dans les appartements des Chasses où logea son fils le Prince Impérial dans son enfance, certainement par crainte d’être submergés de souvenirs trop douloureux.
Regagnant sa voiture garée au pied de l’escalier du Fer-à-Cheval, Eugénie est alors accueillie par une foule d’habitants ayant appris sa venue et qui, dans une haie d’honneur, saluent celle qui fût, 44 ans plus tôt encore, leur impératrice. Avant de partir, Eugénie embrasse les enfants qu’elle croise, présente ses respects à ceux qui sont venues la saluer, et remercie les deux hommes qui lui ont servi de guides. Alors qu’elle quitte ce château qu’elle ne reverra plus, et face à ces hommes, ces femmes et ces enfants qui lui rendent hommage, l’ex-souveraine laisse couler deux larmes de ses yeux bleus qui, dans leur éclat toujours impérial, ne peuvent retenir l’émotion de celle qui fût un jour célébrée comme l’Impératrice des Français: l’Impératrice Eugénie.
Pour en savoir plus sur les résidences préférées d’Eugénie, retrouvez mes visites des châteaux de Fontainebleau et Compiègne dans les articles et les podcasts dédiés sur ce blog. N’hésitez pas également à me suivre sur Instagram, Facebook & YouTube.
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