Alors qu’on s’apprête à fêter les 300 ans du sacre de Louis XV en la cathédrale de Reims, le 25 octobre 1722, revenons sur ce qu’on appelle justement le sacre du roi de France, sa définition, sa signification et son organisation. Car là où, dans certaines royautés (le Royaume-Uni en tête), le couronnement est l’évènement le plus important pour le monarque, en France, cette cérémonie va s’éclipser au profit de celle dite du sacre.
QUELLE DIFFÉRENCE ENTRE COURONNEMENT ET SACRE?
Au départ, il n’y en a pas vraiment. C’est en se coiffant de la couronne du royaume que le roi devient roi. Très vite, à l’image de Pépin le Bref, le couronnement s’accompagne d’une cérémonie de sacre appuyée par la religion catholique. Pépin le Bref est en effet le premier roi de France sacré en 752 devant une assemblée d’évêques à Soissons, menée par l’archevêque Boniface. Il s’agit pour le souverain de s’allier avec les hautes instances catholiques pour assurer son pouvoir et affirmer son autorité. Plus tard, avec Louis le Pieux en octobre 816, mais surtout après Henri 1er en 1027, le sacre se fera en la cathédrale de Reims, là où Clovis, premier roi de tous les Francs, a été baptisé par l’archevêque Saint-Remi à Noël 496 (ou 498, ou 499, on manque ici de précisions). Cependant, à cette époque encore, l’affirmation du statut de roi et de ses pouvoirs se fait via le geste symbolique du couronnement, quand le monarque se pare de la couronne de Charlemagne (règne: 768-814).
Mais les choses vont changer, car en France, le roi ne meurt jamais: lorsqu’un souverain meurt, son héritier devient automatiquement et immédiatement le nouveau monarque. C’est d’ailleurs la signification de l’expression criée à la mort du roi: «le roi est mort, vive le roi!». Par conséquent, il y a toujours un roi en France, et le couronnement devient secondaire, voire non nécessaire pour «reconnaître» le roi et son autorité qui est induite par l’héritage direct du trône. Ainsi, ce n’est plus la couronne qui définit le statut royal, mais c’est par le sacre que le nouveau souverain va prendre tout son caractère sacré et divin.
C’est en 869, qu’on découvre dans la tombe de Saint-Remi la Sainte Ampoule contenant l’huile qui aurait servi à baptiser Clovis. Dès lors, mais surtout à partir de 1027, et pour les siècles à venir, l’onction du roi avec cette huile sainte entre dans le rituel du sacre et doit lui conférer une autorité et des pouvoirs divins incontestables. Ainsi, dans la monarchie française de droit divin, le roi tient son pouvoir absolu directement de Dieu et non du Pape ou d’un chef religieux comme c’est le cas dans d’autres monarchies. Aussi, le sacre doit-il rappeler cet absolutisme royal et divin qui distingue le roi des autres hommes. Le couronnement reste lui un moment important de la cérémonie du sacre, mais c’est désormais un acte civil qui scelle le contrat politique entre le souverain et son peuple.
Point histoire : Depuis quand la monarchie est-elle de droit divin en France?
On l’a vu, si elle est effective depuis au moins l’an 1027, la monarchie de droit divin n’est actée juridiquement qu’à la fin de la Guerre de Cent ans qui s’est déroulée de 1337 à 1453, et s’est officiellement terminée par Le traité de Picquigny signé le 29 août 1475 entre le roi de France Louis XI et le roi d'Angleterre Édouard IV à Picquigny en Picardie. En définissant juridiquement que le pouvoir royal est d’ordre divin, il s’agit pour le roi Louis XI (règne: 1461 à 1483) d’instituer de manière officielle et incontestable son autorité. Et quoi de mieux pour cela que d’acter qu’elle émane directement de la volonté de Dieu?
ORIGINE DE LA CÉRÉMONIE DU SACRE DES ROIS DE FRANCE
Comme je le précisais, la cérémonie du sacre des rois de France doit rappeler le baptême de Clovis, premier roi des Francs, par l’archevêque Saint-Remi à Notre-Dame de Reims à Noël 496 (498 ou 499), un acte fondateur de l’unification du royaume de France.
Inaugurés par Louis le Pieux en octobre 816 à Reims, les rites du sacre évoluent, et c’est au 13e siècle, avec Louis IX (règne: 1226-70), dit Saint-Louis, qu’ils prennent la forme qu’ils auront jusqu’au sacre de Charles X, le second frère de Louis XVI qui sera le dernier roi de France à régner et à être sacré à Reims le 29 mai 1825.
LE RITUEL DU SACRE DES ROIS DE FRANCE
Depuis la simple onction originelle, le sacre est devenu au fil des siècles une cérémonie minutieusement codifiée qui dure plus de 5 heures. Elle est toujours organisée un dimanche ou à l’occasion d’une fête liturgique importante. Le roi arrive alors quelques jours auparavant dans un carrosse spécialement conçu pour l’occasion, et il est logé au palais archiépiscopal (palais de l’archevêque) voisin de la cathédrale Notre-Dame de Reims: le Palais du Tau -qui tient son nom de sa forme en T.
La veille du sacre, le souverain passe sa soirée et une partie de la nuit à prier et à se confesser. Le lendemain matin, réveillé par deux évêques, il est conduit en procession jusqu’à la cathédrale où il entre en cortège et remonte la nef jusqu’au fauteuil ou trône installé spécialement à la croisée du transept, devant le maître-autel, au cœur de l’édifice. L’archevêque accueille alors la Sainte-Ampoule portée sous un dais par les moines de la basilique Saint-Remi.
La cérémonie commence alors et s’articule en quatre actes : le serment, le sacre avec l’onction, la remise des vêtements et insignes royaux, et le couronnement.
1. Le Serment
Le roi promet au clergé et au peuple de protéger l’Église et de défendre la foi catholique. Il s’engage aussi à faire régner la paix et la justice dans son royaume et à faire preuve de miséricorde.
2. Le Sacre
Après le serment, le sacre à proprement parler peut débuter. Le roi abandonne une partie de ses vêtements. Il ne porte alors plus qu’une simple chemise, et le grand chambrier (un grand officier de la Couronne) lui remet les symboles de la chevalerie: les éperons d’or et l’épée de Charlemagne qui fait de lui le bras séculier de l’Église (la représentation temporelle du pouvoir religieux parmi les hommes).
Après des prières pour la santé du souverain, vient le moment de l’onction. Le Saint-Chrême, l’huile contenue dans la Sainte-Ampoule avec laquelle Clovis aurait été baptisé, est déposé sur le roi agenouillé devant l’archevêque qui, avec le pouce, réalise l’onction en 7 points rappelant les 7 points vitaux de la force divine: la tête, la poitrine, entre les épaules puis sur chacune d’elles, et aux jointures des bras.
3. Remise des vêtements et des insignes royaux
La cérémonie se poursuit par la remise des vêtements royaux: la tunique bleu hyacinthe (bleu-violet, comme le manteau du grand prêtre d’Israël), la dalmatique (sorte d’aube) et le manteau fleurdelysé (orné de fleurs de lys royales).
On remet ensuite au roi les insignes royaux ou régalia: l’anneau symbolisant le mariage spirituel entre le roi, l’Église et son royaume; les gants pour éviter la souillure des mains royales par les objets profanes; puis, dans la main droite, le sceptre de Dagobert 1er, symbole de droiture, et dans la main gauche, la verge, devenue ensuite la main de justice, emblème de la fonction la plus haute du roi: l’autorité judiciaire. Les anciens vêtements du roi sont quant à eux brûlés.
4. Le couronnement
Vient enfin le couronnement. Le roi est intronisé, c’est-à-dire qu’il s’installe sur le trône (ici le trône de Dagobert 1er). Les 12 pairs de France apportent ensuite la couronne de Charlemagne qu’ils tiennent au-dessus de la tête du roi où l’archevêque la pose enfin.
Ainsi couronné, et après une dernière profession de foi, le roi reçoit les baisers de l’archevêque et des pairs, et l’assemblée scande un «vive le roi éternellement!». Enfin, à l’issue d’une messe, le monarque échange sa lourde couronne de sacre contre une plus légère avant de se diriger hors de la cathédrale où il est accueilli par la foule en liesse.
Le roi sacré se rend ensuite au Palais du Tau où un grand festin est prévu, tandis que des banquets et spectacles sont organisées dans la ville pour la population.
Sachez que si le roi est marié, le sacre de la reine se fait dans la foulée. Dans le cas contraire, la reine est sacrée après le mariage royal, souvent à Paris ou à la basilique Saint-Denis.
Point anecdote: combien de rois sacrés à Reims?
En 1000 ans, 33 rois seront sacrés à Reims. Si Louis le Pieux, fils de Charlemagne, est bien le premier en 816, rien n’est alors fixé officiellement. Aux 9e et 10e siècles, les rois peuvent ainsi choisir le lieu de leur couronnement, souvent Noyon, Laon ou encore Compiègne.
Il faut attendre le sacre d’Henri 1er en 1027 pour que les rois de France soient traditionnellement sacrés en la cathédrale de Reims. Tous le seront ensuite jusqu’à Charles X en 1825, sauf trois:
. Louis V, sacré à Orléans le 3 août 1108 car son frère, désireux de succéder à leur père, l’empêche d’accéder à Reims
. Henri IV, sacré le 27 février 1594 en la cathédrale de Chartres car les guerres de religions l’empêche d’accéder à Reims et Paris, aux mains de la ligue catholique, tandis que lui est encore protestant jusqu’à son abjuration à l’occasion de son couronnement
. Louis XVIII qui sera nommé roi de France à la chute de Napoléon 1er en 1814 et ne sera donc pas officiellement sacré.
Sources
Livret «La Cathédrale de Reims» de patrick Demouy aux éditions La Goélette.
Vidéo Palais de Tau : https://www.palais-du-tau.fr/Explorer/Le-sacre-mode-d-emploi
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