Lorsqu’on parle du Second Empire (1852-70), de l’empereur Napoléon III ou de son épouse l’impératrice Eugénie, on pense d’abord au régime autoritaire progressiste qui a marqué le développement économique et culturel de la France, comme son entrée dans la modernité; mais on pense aussi au faste, au luxe et aux réceptions grandioses qui constitueront les points d’orgue de ce qu’on a appelé la ‘fête impériale’, cette succession de réceptions et d’opérations de relations publiques qui donnera à la France l’image et le sentiment d’une puissance et d’une influence retrouvées.
Parmi les événements incontournables de cette fête impériale: les ‘séries’. Organisées aux châteaux de Compiègne ou de Fontainebleau, elles jouent un rôle de premier ordre dans la communication et l’installation durable du régime. Mais qu’entend-on au juste par ‘séries’?
Avant toute chose, rappelons les objectifs de la fête impériale sous le Second Empire. Pour Napoléon III, l’idée est d’assoir la légitimité de son pouvoir aux yeux du peuple français à travers les images des fêtes et réceptions somptueuses publiées dans la presse, mais surtout aux yeux de la haute société française et internationale: les élites anciennes -la noblesse d’Ancien Régime, la noblesse d’Empire bonapartiste- mais aussi nouvelles, comme les personnalités de la finance, de l’industrie ou de la culture de ce 19e siècle en pleine transformation.
Aux yeux du monde, un régime impérial qui fait la fête, c’est un empire qui se porte bien, dans une nation prospère et heureuse. Ces fêtes répandent à travers le monde l’image d’une France dynamique, une France à la puissance retrouvée après les troubles révolutionnaires et l’instabilité des régimes politiques qui se sont succédé depuis; une France influente qui lance la mode avec ses crinolines, ses joaillers et sa Haute Couture naissante, et qui donne le tempo culturel avec ses opéras, ses peintres ou encore ses écrivains de renom… Bref, une France qui rayonne à l’international, notamment lors des grandes expositions universelles lancées à cette époque et organisées à Paris en 1855 et 1867 avec un succès mondial retentissant.
Les grandes fêtes impériales seront organisées tout d’abord à l’Elysée, lorsque Napoléon III n’est encore que Louis-Napoléon Bonaparte, Président de la 2e République Française élu en 1848. Elles seront ensuite établies au Palais des Tuileries où résident l’Empereur et l’Impératrice, ou encore à Fontainebleau et Compiègne où je vous emmène justement aujourd’hui et où, comme je vous l’expliquais, ont été organisées à partir de 1856 les fameuses séries de Compiègne et de Fontainebleau qui ont participé à l’image fastueuse du Second Empire.
Contrairement à leurs prédécesseurs -rois et empereur-, Napoléon III et Eugénie passent les mois d’été à Fontainebleau, tandis que l’automne et la chasse se déroulent au Palais de Compiègne. Dans ces deux anciennes résidences royales, rénovée et réaménagées sous le Premier Empire de Napoléon 1er (1804-15), le couple impérial va organiser des «séries» auxquelles toute l’élite française et internationale rêve d’être conviée.
A partir de 1856, donc, chaque automne, le couple impérial s’installe avec sa suite au Palais de Compiègne pendant 3 à 6 semaines. Il en va de même l’été à Fontainebleau. Pendant ces séjours annuels, Napoléon III et Eugénie invitent dans leur château des personnalités triées sur le volet et qui sont conviées par «séries» hebdomadaires (d’où le nom de ces rendez-vous). Les groupes d’invités sont ainsi renouvelés chaque semaine, l’idée étant de rassembler l’intelligentsia de la société française et les grands du monde d’alors dans une atmosphère conviviale où l’étiquette impériale est réduite et moins stricte qu’au Palais des Tuileries. L’élite du Second Empire attend avec impatience cette saison des «Séries de Fontainebleau», comme celle des «Séries de Compiègne», avec toujours cette question: «en ferai-je partie?».
Les invités sont artistes, penseurs, scientifiques, aristocrates, industriels, princes ou souverains étrangers. Le couple impérial y reçoit entre autres personnalités: les Rothschild, Gustave Flaubert, Alexandre Dumas fils, les frères Pereire, Théophile Gautier, Prosper Mérimée, Gustave Doré, Eugène Delacroix, Giuseppe Verdi, Haussmann, Viollet-le-Duc, Charles Garnier, Louis Pasteur, Cuvier, Claude Bernard… mais aussi Guillaume 1er de Prusse, Louis II de Bavière, ou l’Empereur d’Autriche François-Joseph, le mari de la célèbre Sissi. Ces séries peuvent être thématiques: les séries scientifiques ou littéraires par exemple.
Chaque semaine, un train est affrété spécialement depuis Paris Gare du Nord pour Compiègne, ou Paris Gare de Lyon pour Fontainebleau, afin de conduire une centaine de convives, ainsi que leur suite, jusqu’aux palais impériaux où ils sont logés dans des appartements aménagés spécialement, sortes de suite d’hôtel de luxe avant l’heure.
Chacun est libre de son programme : jeux, chasse, activités de plein air (comme le tir à l’arc), concerts, thé avec l’impératrice, musique, ou encore visites des environs (comme le château de Pierrefonds, en pleine rénovation par Viollet-le-Duc, près de Compiègne)… Pendant les séries, on se rencontre, on socialise, on joue et on fait la fête. Seule contrainte : être présent chaque soir en habit de soirée pour le dîner en compagnie du couple impérial dans la salle de Bal de Compiègne ou dans celle de Fontainebleau.
Si les Séries d’été et d’automne se ressemblent, celles de Fontainebleau sont beaucoup plus détendues et le protocole y est allégé. Eugénie, qui aime le sport et la randonnée, emmène régulièrement ses invités en escapades dans la forêt et sur ses célèbres rochers. Les invités ont aussi la possibilité de profiter de l’étang des carpes ou de se reposer dans le Pavillon de Plaisance qui s’y trouve. L’Impératrice Eugénie a d’ailleurs une gondole vénitienne sur cet étang. Avec laquelle elle aime naviguer des heures en bonne compagnie. Les Séries de Fontainebleau sont enfin l’occasion de bals, de fêtes mémorables et de pièces jouées dans le superbe théâtre impérial.
Pour en savoir plus sur le palais de Compiègne et le château de Fontainebleau, rendez-vous dans les articles et podcasts dédiés aux visites que j’en ai faites sur ce blog.
Bonjour, très bel article ! Toutes les infos y sont, c'est très intéressant et bien écri, on s'y croirait ! Je me demandais quelles étaient vos sources ? J'ai l'impression qu'il est difficile de trouver ailleurs autant d'informations que dans votre article... Merci encore !