top of page
Photo du rédacteurIgor Robinet-Slansky

ANECDOTE: «ÊTRE UN CHAMPION», UNE ORIGINE HISTORIQUE PAS BANALE

La coupe du monde de Rugby bat son plein, les Jeux Olympiques de Paris approchent, et comme à chaque grande compétition, chacun espère que son équipe, son athlète préféré ou sa sportive favorite gravira la plus haute marche du podium pour devenir le champion ou la championne en titre. On entendra alors résonner dans les stades et les rues des cris de victoire: «On est les champions!», «Vive le champion!» ou «Vive la championne!».

Ce terme de champion ou de championne fait aujourd’hui partie de notre vocabulaire usuel, dans le contexte sportif, bien sûr, mais aussi, par extension, dans notre quotidien pour qualifier une personne couronnée de succès dans quelque domaine que ce soit: «Elle, c’est la championne de la mécanique!», «Lui, c’est le champion de la cuisine!».

Mais savez-vous que ce mot de champion a en réalité une origine moins sportive et au final moins évidente qu’on ne peut le penser? Je vous propose donc de remonter aux origines de nos champions et championnes d’aujourd’hui.

Etymologiquement, d’abord, champion vient du latin classique campus, devenu au Moyen-Âge campio, qui se traduisent tous les deux par le mot champ. Mais le terme champion, dans sa définition plus actuelle, vient du germanique kampjo hérité du latin et qui désigne un combattant.


Alors quel est le lien entre le champ et le combat? Le champ de bataille me direz-vous. Et bien vous n’êtes pas loin, même si ce lien est plus judicaire que guerrier. Tout remonte en réalité au Moyen-Âge et à une coutume originaire du nord de l’Europe qui va se diffuser en Allemagne et en Angleterre, avant de s’étendre au reste du continent.


A l’époque médiévale, le champion était celui qui se battait dans un champ clos, soit un espace bien défini réservé aux combats ou aux tournois. Mais il ne s’agissait pas ici de tournois festifs ou récréatifs. Ces combats de champions devaient déterminer qui avait raison entre l’accusé et l’accusateur lors d’un conflit judiciaire. Pour savoir qui des deux parties disait la vérité, le juge décidait de l’organisation d’un combat judiciaire. Toute vérité émanant de Dieu, si la volonté divine laissait gagner l’un des deux champions, c’est-à-dire l’un des deux adversaires, cela démontrait que ce dernier était innocent ou dans son bon droit.

À l’origine, le champion se bat pour défendre sa propre cause, mais très rapidement, il est possible pour l’accusé comme l’accusateur de se faire représenter par des champions professionnels qui s’engagent à combattre pour la cause d’un tiers.

Cartel, lettre de défi

Les règles sont simples. Tout est d’abord défini dans un cartel, un document juridique qui établit les faits d’accusation et les conditions de résolution d’un conflit au Moyen-Âge. Dans le cas des duels de champions, ce cartel, appelé aussi lettre de défi, rappelle officiellement aux deux parties les raisons du combat et précise à la fois les conditions de la victoire (en combien de coups? Le combattant doit-il être à terre?) et les sentences pour le vaincu (le champion lui-même ou celui qu’il représente): mise en demeure, confiscation des biens, mise à mort…


Concrètement, comment se passe le duel de champions? Si en amont du combat judiciaire, l’un des deux combattants déclare forfait, il est immédiatement déclaré «infâme» et donc lui, ou celui qu’il représente, est déclaré coupable.


Si le combat a bien lieu, tout un cérémonial se met en place. On rase la tête des champions, on leur fait jurer qu’ils croient sincèrement en la personne et la cause qu’ils défendent, et on leur fournit des armes qui sont au préalable bénies par un prêtre: un bouclier et une épée, mais aussi un cheval et une armure si nécessaire. La lutte pour la justice peut alors commencer sous le regard attentif du juge-arbitre et de témoins qui s’assurent du respect des règles

Le combat s’ouvre par des injures pour faire monter la tension entre les deux camps et les deux champions. Puis le duel peut débuter au son de musiques solennelles.Une fois que l’un des deux lutteurs a porté le nombre de coups nécessaires à la victoire, comme précisé dans le cartel, le juge jette une baguette pour mettre fin au combat. S’il y a égalité ou si le duel n’est pas terminé à la nuit tombée, on déclare l’accusé vainqueur. Le vaincu doit alors s’en tenir aux conditions établies au préalable qui vont de la simple présentation d’excuses officielles ou du dédommagement, à la dépossession de ses biens ou même sa mise à mort.


Ces duels judicaires vont perdurer jusqu’à la fin du Moyen-Âge, puis avec l’avènement de la monarchie et d’une justice plus organisée, ils vont peu à peu se raréfier, jusqu’à leur interdiction au 16e siècle. Sous Louis XIII (règne 1610-1643), le duel judiciaire n’est plus toléré. Il est cependant officieusement remplacé par le duel du point d’honneur qui devait défendre l’honneur de tel aristocrate ou tel gentilhomme, mais d’un point de vue uniquement privé et donc non juridique.

Les rois de l’Ancien Régime, de Louis XIV (règne 1643-1715) à Louis XVI (règne 1774-1792) promulgueront nombre de décrets pour interdire les duels, mais en vain. Toléré de nouveau après la Révolution, le duel d’honneur deviendra une véritable institution jusqu’à la fin du 19e et au début du 20e siècle. Il faut attendre la Second Guerre Mondiale pour que la fin du duel soit réellement effective en France, même si quelques combats auront encore lieu de manière non officielle.


Le dernier duel pour l’honneur se tiendra ainsi le 21 avril 1967 dans le parc d’un hôtel particulier de Neuilly-sur-Seine, près de Paris. Il sera organisé entre deux parlementaires: René Ribière, élu gaulliste du Val d‘Oise, et Gaston Defferre, maire de Marseille et président du groupe socialiste à l’Assemblée. La veille, une altercation entre les deux hommes a eu lieu dans l’hémicycle, Defferre ayant alors traité «d’abruti» Ribière qui lui coupait sans cesse la parole. Ce dernier exige des excuses. Il n’en obtient pas et provoque alors son opposant en duel, lui laissant le choix des armes: ce sera un combat à l’épée. Le président Charles De Gaulle essaie de faire annuler l’affrontement, mais en vain. Finalement, après quelques échanges, Ribière est touché deux fois au bras et perd le duel. Ce sera le dernier organisé en France.

Quoi qu’il en soit, au fil du temps et des combats de justice, les champions, qui se battaient alors pour une cause judiciaire, puis pour l’honneur, sont devenus les athlètes sportifs que nous encourageons, et les individus qui, par leurs talents, leurs valeurs ou leurs qualités, occupent le premier rang d’un domaine donné.

LE SPORT ET LES CHAMPIONS AU CŒUR DE L’ACTUALITÉ CULTURELLE


À l’occasion des différents événements sportifs qui se tiennent ou vont se tenir en France, les médias de toutes sortes, comme de nombreux acteurs et évènements culturels, recentrent leurs actualités autour des thématiques du sport, sa diversité, ses influences et son histoire.


Ainsi, le Musée des Arts Décoratifs de Paris (MAD Paris), organise-t-il sa dernière exposition autour des relations étroites entre la mode et le sport: «MODE ET SPORT» jusqu’au 7 avril 2024; comme le Palais Galliera (musée de la mode de Paris) qui, avec «La Mode en mouvement», présentée jusqu’au 7 septembre 2025, explore la question du mouvement et l’évolution du rapport au corps dans la mode, portée par la démocratisation du sport. Retrouvez ici mes articles sur les expositions du Musée des Arts Décoratifs et du Palais Galliera.



Enfin, entre autres actualités culturo-sportives, les Editions du Patrimoine publient, le 2 novembre prochain, un ouvrage inédit qui explore et retrace l’histoire du patrimoine sportif au fil des siècles -lieux, équipements: «Les Sports en France de l’Antiquité à nos jours. Une histoire, un patrimoine», co-dirigé par Franck Delorme -architecte, docteur en histoire de l’art, historien de l’architecture et attaché de conservation à la Cité de l’architecture et du patrimoine- et Pascal Lemaître -photographe du patrimoine architectural français et collaborateur régulier du Centre des monuments nationaux.



SOURCES

  • « Petit dictionnaire des expressions qui sont nées de l’Histoire » par Gilles Henry aux éditions TEXTO

  • Article du journal Le Monde

Comments


bottom of page