Je vous donne aujourd’hui rendez-vous dans un lieu que je ne connaissez pas mais qui vaut la visite, un musée ouvert seulement depuis 2019 : le Musée de la Libération de Paris-Musée du Général Leclerc-Musée Jean Moulin, où se tient, depuis le 8 mars dernier et jusqu’au 31 décembre 2022, l’exposition ‘FEMMES PHOTOGRAPHES DE GUERRE’.
Lee Miller (1907-1977), Garda Taro (1910-1937), Catherine Leroy (1944-2006), Christine Spengler (née en 1945), Françoise Demulder (1947-2008), Susan Meiselas (née en 1948), Carolyn Cole (née en 1961) & Anja Niedringhaus (1965-2014): découvrez le travail remarquable de ces 8 femmes photographes qui, pour témoigner de la violence du front et de la réalité de la guerre, ont pris des risques jusqu’à même, pour certaines, y laisser la vie.
À travers une centaine de documents, 80 photographies, et des journaux ou magazines originaux, cette exposition permet de comprendre l’implication des femmes dans la guerre, qu’elles soient combattantes, victimes ou, comme ici, témoins.
Que vous soyez fan de photographie ou non, les clichés de ces 8 femmes reporters de guerre, qui couvrent 75 ans de conflits internationaux entre 1936 et 2011, ne peuvent vous laisser insensibles. Des photographies présentées ici sous cadre comme des œuvres d’art mais qui, à l’origine, sont surtout des clichés conçus comme des témoignages uniques de la guerre, dédiés à la publication presse. Des images qui doivent ainsi également être ‘publiables’ et ‘commercialisables’. On comprend alors que, selon les époques ou les médias, chaque photographie est pensée, (re)cadrée, ‘shootée’ dans un format et une démarche subjective, adaptés à une demande médiatique spécifique.
Des points de vue qui font de cette exposition un documentaire historique ouvrant sur des questions plus contemporaines.
L’exposition nous emmène d’abord en pleine guerre d’Espagne, en 1936, où Gerda Taro propose un regard engagé, montrant les individualités derrière les combattants, les réfugiés ou les morts. La photographe américaine installée en France, Lee Miller, donne à voir une Libération de l’Europe, en 1944-45, à travers des photographies composées et construites, parfois décalées, à la mise en scène parfois dérangeante. De la guerre du Vietnam dans les années 1960, la Française Catherine Leroy propose des images marquantes et percutantes, tandis que sa confrère Christine Spengler photographiera les ruines de la guerre plutôt que les cadavres, et que Françoise Demulder en montrera l’horreur avec plus de distance. Plongés en pleine guerre civile irlandaise, en 1972, nous suivons ensuite Christine Spengler. Elle capture des images d’enfants et des instants de vie qui figent la guerre dans une certaine intimité. De son côté, l’Américaine Susan Meiselas retranscrit la réalité des conflits sud-américains, en couleurs ou en noir et blanc, notamment au Nicaragua dans les années 1970 et au Salvador dans les années 1980. Ici, elle n’est pas dans l’événement en tant que tel, mais dans la mise en lumière des traces de la guerre : les conséquences sur la vie des habitants, l’intégration des coutumes locales sur le terrain (utilisation de masques traditionnels par exemple). L’américaine Carolyn Cole, elle, construit ses photographies de guerre, en couleurs comme en noir et blanc, de manière à témoigner sans rebuter. Les tons sont choisis pour adoucir les atrocités afin que le spectateur comprenne la situation sans détourner les yeux. En Afghanistan, elle arrive ainsi à nous montrer avec douceur la violence du contexte de la guerre comme la peur des soldats, souvent jeunes qui, derrière leurs uniformes ou leur maquillage, se transforment en véritables machines de guerre. Enfin, l’Allemande Anja Niedringhaus, tuée dans un attentat en Afghanistan en 2014, propose ici des clichés qui témoignent de l’incertitude des jeunes militaires américains envoyés sur le front et de l’attente, souvent longue et pesante, que la guerre impose aux armées entre chaque combat. Elle montre aussi avec justesse l’ambiguïté qui existe entre ces jeunes hommes soldats, à peine sortis de l’adolescence, et la cruauté des conflits auxquels ils sont confrontés.
Finalement, à travers leurs photographies, ces femmes reporters donnent une vision du conflit différente de celle des hommes, traditionnellement plus présents sur ces terrains. Un regard qui, sans cacher les horreurs, va aussi chercher l’intimité et l’émotion derrière celles et ceux qui les subissent. Un regard qui n’a rien d’uniforme, comme on eut le constater au fil de cette exposition qui explore les différentes façons de montrer la guerre, que ce soit avec distance et objectivité, par une approche plus intime et subjective ou encore de manière suggestive, ou plus directe et explicite… Car chacune de ces photographes a son point de vue: Spengler montre l’horreur de la guerre du Vietnam à travers les photos de ruines de Phnom Penh, quand Taro ou Cole immortalisent la cruauté en photographiant les cadavres.
Finalement, au moment où, en Ukraine, l’Europe est de nouveau touchée par la guerre, l’exposition permet de visualiser et décrypter l’évolutions des conflits à travers l’Histoire pour mieux comprendre ceux d’aujourd’hui.
Mes 10 photos coup de cœur
Un soldat des Marines américains au visage camouflé par un maquillage militaire pendant la bataille de Najaf en Irak (2004). Photo de Carolyn Cole pour le Los Angeles Times.
Jambes de déporté de Buchenwald, en Allemagne, 1945. Photo par Lee Miller. Plutôt que de faire le portrait du déporté, la photographe se concentre sur ses pieds et jambes. Envoyée couvrir la Libération de l’Europe par le magazine Vogue, Lee Miller écrira en légende de cette photo, comme pour se détacher de la cruauté de l’instant et appuyer sur l’ambiguïté de sa mission: ‘le pyjama à rayure ne sera jamais plus à la mode’, comme si elle commentait une photo de magazine de mode.
Regina Lisso, la fille du maire de Leipzig, en Allemagne en 1945. Photo par Lee Miller. Ici, la photo esthétisée donne à la mort une forme de beauté. Cette jeune femme semble dormir paisiblement, comme innocente, mais en tant que partisane Nazie, elle s’est donné la mort pour ne pas répondre de ses actes. C’est toute l’ambigüité de cette photo.
Bombardement de Phnom Penh, Cambodge, 1975. Photo par Christine Spengler. Ici, la photographe capture la violence des destructions de cette place du marché de Phnom Penh par les Khmers Rouges, le mouvement de guérilla du Parti Communiste. Plutôt que l’image des cadavres ce paysage de désolation rend avec force la cruauté des combats.
Une combattante républicaine s’entraîne sur une plage près de Barcelone, Espagne, août 1936. Photo de Gerda Taro. La photographe est engagée par le magazine français VU pour couvrir la Guerre d’Espagne et suivre les combattants du Front Populaire contre les nationalistes. En capturant les personnes engagées dans cette guerre civile, elle donne à voir l’intimité et la proximité de la guerre.
Un homme suspecté d’appartenir aux forces du Viêt-cong capturé par des soldats de la 1ère division de cavalerie. Bong Song, Viêtnam, février 1975. Photo de Catherine Leroy. Ici, difficile de comprendre où se situe la photographe. Elle est comme intégrée à part entière dans l’image et l’action capturée.
Photo de Susan Meiselas prise au Nicaragua en 1978 pour l’agence Magnum.
Un masque de danse traditionnelle des indiens de Minimbo, utilisé par les rebelles pour dissimuler leur identité pendant la lutte contre le régime de Somoza.
Un jeune Afghan sur un manège brandit un faux pistolet lors des fêtes de la fin du Ramadan à Kaboul, Afghanistan, septembre 2009. Photo d’Anja Niedringhaus. L’enfance semble altérée par les ‘jeux’ de guerres.
Funérailles d’un membre de l’IRA (Irish Republican Army) pendant la guerre civile irlandaise. Photo de Christine Spengler, Londonderry, Irlande du Nord, 1972.
Un Marine américain de la 1ère division avec une figurine G.I. Joe ou Action Man dans son sac à dos en guise de porte-bonheur. Photo d’Anja Niedringhaus, Falloujah, Irak, 2004. La photographe montre ici la jeunesse de ses combattants et l’ambiguïté entre ses soldats très jeunes et leur mission difficile et cruelle. Cette photo a reçu le prix Pullitzer pour cette image.
Le Musée de la Libération de Paris-Musée du Général Leclerc-Musée Jean Moulin
Au-delà de l’exposition que je vous recommande, je vous encourage à visiter le Musée de la Libération qui retrace les parcours de Jean Moulin (1899-1943), haut fonctionnaire, préfet de l’Aveyron puis d’Eure-et-Loir, et célèbre héros de la Résistance française, et de Philippe Leclerc de Hauteclocque (1902-1947), plus connu comme le Général Leclerc, l’un des principaux militaires de la France Libre. Un musée dont le lieu-même rappelle la Libération de Paris: un ancien abri de défense passive situé place Denfert-Rochereau et utilisé comme poste de commandement par le colonel Rol, chef des Forces Françaises de l’Intérieur (FFI) de la région parisienne.
Informations pratiques
Le Musée de la Libération de Paris – Musée du Général Leclerc – Musée Jean Moulin, ainsi que l’exposition ‘Femmes photographes de guerre’ sont ouverts tous du mardi au dimanche de 10h à 18h.
L’entrée des collections permanentes est gratuite.
Le billet pour l’exposition temporaire s’élève à 8€ en tarif plein et 6€ en tarif réduit.
Tous les détails sur le site du Musée de la Libération de Paris.
L’exposition ‘Femmes photographes de guerre’ est réalisée en partenariat avec le Kunstpalast de Düsseldorf.
Sources
Dossier de presse de l’exposition
Visite guidée de l'exposition en compagnie de la directrice du musée et commissaire de l’exposition, Sylvie Zaidman.
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