Suivez-moi au château de Rambouillet, dans les Yvelines (78), où, avec le Centre des Monuments Nationaux (CMN), j’ai pu découvrir les dernières nouveautés culturelles proposées par ce haut lieu de notre histoire et de notre patrimoine.
Un monument atypique que je vous invite à explorer plus largement, depuis l’Appartement d’Assemblée (fleuron de l’art décoratif du 18e siècle et du style Rocaille ou Louis XV) jusqu’au parc labellisé «jardin remarquable» avec ses canaux, ses îles et ses fabriques. Car là où l’histoire de beaucoup de châteaux se finit avec la Révolution, celle de Rambouillet se poursuit jusqu’à la République où il tient lieu de résidence présidentielle officielle jusqu’en 2018.
Au programme de l’agenda culturel:
L’appartement de Napoléon 1er, tout juste restauré. On explore ainsi l’intimité de l’empereur, de sa salle à manger privative, intime et dépouillée d’ornements excessifs, à sa salle de Bain aux décors hauts en couleurs et riches de symboles impériaux qui rappellent son pouvoir, en passant par sa chambre, remeublée dans un style Premier Empire des plus raffinés. (Ecoutez le podcast ici)
L’exposition ‘Rambouillet 1950, dans l’intimité du Président’, organisée avec le Mobilier National, qui, jusqu’au 21 avril 2024, met en lumière le mobilier commandé pour Rambouillet et pour l’Élysée par le 1er président de la 4e République, Vincent Auriol (1884-1966), alors qu’il cherche à faire de ces résidences présidentielles de véritables vitrines des savoir-faire français. (Ecouter le podcast ici)
Les appartements des hôtes d’État, rénovés et en partie remeublés, et désormais ouverts au public. Durant son mandat (1947-1954), Vincent Auriol décide de restaurer les appartements présidentiels de Rambouillet dans un goût de luxe plus contemporain en faisant appel au meilleur de la création et des savoir-faire français de l‘époque. L’idée? Faire de ce lieu de villégiature présidentiel une résidence de premier plan pour accueillir -et impressionner- les hôtes étrangers de l’État français, des têtes couronnées aux chefs de gouvernement les plus importants de son temps. (Ecouter le podcast ici)
La Laiterie de la reine Marie-Antoinette. Bâtie en 1786-87 par Jacques Jean Thévenin à la demande de Louis XVI dans le but de faire apprécier Rambouillet à son épouse peu conquise par le domaine, cette laiterie d’apparat, où on dégustait les laitages, est sublime avec ses décors sculptés de Pierre Julien. Nouveauté: le pavillon du Roi, tout proche, propose une nouvelle médiation pour mieux décrypter les secrets et les trésors d’architecture de cette laiterie, mais aussi ceux du jardin anglais et de la chaumière aux Coquillages, construite en 1779 par Jean-Baptiste Paindebled, et dont les décors invitent au rêve fantastique. (Ecouter le podcast ici)
À PROPOS DU CHÂTEAU
En 1374, Jean Bernier, écuyer du roi, transforme le vieux manoir qu’il a acquis en 1338 au cœur de la forêt de Rambouillet en un 1er château fortifié. Une propriété qui passe aux mains la famille d’Angennes en 1384 et jusqu’en 1699, quand elle est revendue au financier Fleuriau d’Armenonville.
François 1er, qui aimait venir y chasser, y mourra d’une infection dans la tour médiévale le 30 mars 1547. En 1706, celui-ci doit céder le château au fils légitimé de Louis XIV et de Mme de Montespan, le comte de Toulouse, qui le transmettra à son fils le duc de Penthièvre. Si Louis XV y vient régulièrement chasser en invité de son cousin, Louis XVI décide de le racheter en 1783. Délaissé pendant la Révolution, le domaine de Rambouillet est réhabilité par Napoléon 1er, puis utilisé par les rois Louis XVIII et Charles X sous la Restauration (Charles X y abdiquera même le 2 août 1830), avant que Louis-Philippe ne le mette en location, ou que Napoléon III, sous le Second Empire, y organise des séjours pour la cour impériale. Tous ces hôtes modifieront, agrandiront et embelliront le château et ses jardins.
La république, dès 1883, y organisera ensuite des chasses. Une tradition qui durera jusqu’en 1995 quand Jacques Chirac les suspendra. En parallèle, dès 1947 et sous l’impulsion du président Vincent Auriol, le château accueillera les hôtes étrangers de l’État français, comme ce sera le cas lors du premier G6 organisé à Rambouillet en 1975 par Valéry Giscard d’Estaing. Depuis 2018, à la demande d’Emmanuel Macron, le château de Rambouillet n’est plus résidence d’État et sa gestion est désormais confiée au Centre des Monuments Nationaux (CMN).
L’APPARTEMENT DE NAPOLÉON 1ER
Lorsqu’il devient Premier Consul en 1799, Napoléon Bonaparte découvre un château de Rambouillet bien dégradé après la Révolution. Un domaine dont il tombe cependant sous le charme, notamment pour sa forêt giboyeuse qui séduit l’amateur de chasse qu’il est, et qu’il fait reboiser. Une fois empereur -il est sacré le 2 décembre 1804-, celui qu’il faut désormais appeler Napoléon 1er décide de rénover le château et le parc afin d’en faire l’une de ses résidences personnelles.
Pour cela, il fait appel à l’architecte Guillaume Trepsat, et les travaux commencent en 1805 par la destruction de l’aile gauche de la cour d’Honneur du château qui en ressort défiguré. L’architecte Auguste Famin reprend alors le flambeau et travaille à la réorganisation des pièces du château.
On choisit d’abord de bâtir une nouvelle façade sur le corps central du bâtiment, côté cour. On va ensuite créer un appartement dans l’aile droite, en lieu et place de l’appartement du 18e siècle qui fût habité successivement par le comte de Toulouse et la reine Marie-Antoinette. Une enfilade de trois pièces -une salle à manger, un bureau/chambre à coucher et une salle de bain- construite en avant de l’appartement d’Assemblée, et qui se termine par un passage percé dans la tour médiéval dite de François 1er pour lier ces nouveaux espaces aux salons historiques.
Rouvertes à la visite le 10 décembre dernier, ces trois salles privées ont bénéficié d’importantes rénovations sous la supervision de Christophe Batard, architecte en chef des monuments historiques, et d’un remeublement au plus près des aménagements originaux, grâce au soutien du Mobilier National.
Visiter l’appartement de Napoléon 1er à Rambouillet, c’est plonger dans l’intimité de l’empereur, dans des lieux où, de la pièce la plus publique et sobre -la salle à manger ou antichambre du Déjeun- à la plus privée et impériale -la salle de bain avec ses riches décors à l’antique-, on perçoit un peu de l’homme derrière le chef d’État.
Napoléon aimait le château de Rambouillet. Il y passera ainsi plus de 60 jours cumulés, et y reviendra même pour une dernière nuit le 22 juin 1815, juste après l’ultime abdication qu’il vient de signer au palais de l’Élysée le jour même.
Revenons à la visite de cet appartement impérial et des trois pièces qui le compose. L’enfilade des espaces est conçue de telle manière que plus on avance, plus les décors et le mobilier deviennent sophistiqués. On est ici dans une maison privée, dont l’atmosphère chaleureuse se ressent dès que l’on pénètre dans la salle à manger -dite aussi antichambre du Déjeun. Par souci d’économie, Napoléon réemploiera les boiseries ou les cheminées du 18e siècle, et il fait venir du mobilier de Trianon ou de son hôtel de la rue de la Victoire à Paris. Mais il commande aussi de riches tapisseries et du mobilier digne de son statut d’empereur des Français.
Petit détail qui surprendra sûrement le visiteur: le parquet n’est pas brut, mais entièrement peint. Cette habitude n’est pas née sous l’Empire. Déjà à Versailles ou dans les autres châteaux, on repeignait les parquets. Pourquoi ? pour deux raisons : d’une part, cela permettait d’harmoniser des sols qui, à force d’être réparés, ne présentaient pas d’homogénéité de teinte de bois, mais cela servait aussi à refléter la lumière dans des pièces parfois sombres.
LA SALLE À MANGER DE L’EMPEREUR OU ANTICHAMBRE DU DÉJEUN
C’est dans cette pièce sobrement décorée que Napoléon 1er s’entretient avec ses conseillers ou ses invités, en même temps qu’il peut y petit-déjeuner -d’où le nom d’antichambre du Déjeun-, souvent en vitesse -il n’aime pas s’éterniser à table.
Le mobilier de style Premier Empire, composé de chaises en hêtre blanches et d’un fauteuil signés Jacob-Desmalter, ainsi que la fine vaisselle disposée sur la table, issue du service en porcelaine de Sèvres de Napoléon à Rambouillet, laissent à imaginer que l’empereur peut entrer à tout moment.
LA CHAMBRE À COUCHER
Cette pièce servait de bureau et de chambre. Logique quand on sait combien Napoléon, en travailleur acharné, dormait peu, et n’hésitait pas à alterner les phases de repos et de travail.
Le mobilier en acajou s’inscrit dans un style Premier Empire des plus raffinés. Un raffinement réhaussé par la tenture bleue qui recouvre les murs, mais aussi le mobilier, du lit (dais, couvre-lit) aux chaises et fauteuils.
Parmi les meubles remarquables, on notera la table à écrire où travaillait Napoléon et où est présentée une reproduction de la lettre de demande en mariage qu’il écrira à sa future seconde épouse, l’archiduchesse d’Autriche, Marie-Louise. On remarque aussi le somno, cet ancêtre de la table de nuit, inventé à l’époque (du latin ‘somnus’ qui signifie ‘sommeil’), ou encore le fauteuil pommier ou paumier, un meuble imaginé par l’empereur lui-même qui, en frileux qu’il est, commande une assise où il peut s’assoir confortablement devant la cheminée. D’un côté, il peut s’adosser à l’accoudoir haut qui fait office de dossier, et de l’autre, il peut laisser reposer ses jambes sur l’accoudoir bas. Enfin, sur la table à thé, remarquez la carafe en cristal, gravée d’un N surmonté d’une couronne impériale.
LA SALLE DE BAIN
C’est certainement la pièce la plus surprenante et la plus belle de l’appartement de l’empereur à Rambouillet. Ses décors à l’antique sont sublimes, riches, et ils ont été superbement rénovés selon les indications les plus rigoureusement fidèles aux décors d’origine -il faut noter que la plupart des éléments décoratifs avaient été conservés, à l’exception de certains, recouverts ou modifiés selon les régimes politiques en place (ici un aigle supprimé sous la Restauration et remplacé par des cornes d’abondance, là une fleur de lys ajoutée. Certains de ces éléments ont été conservés en témoins de l’Histoire).
Les quatorze panneaux peints qui ornent les murs de cette petite pièce qui, au 18e siècle, servait de boudoir à Marie-Antoinette, sont signés Pierre François Godard. Chacun d’entre eux est consacré à un membre de la famille impériale. Au centre de chaque composition, un médaillon peint par Jean Vasserot reprend un lieu qui rappelle la personne en question: un jardin, un pays (Rome, le Vésuve), un château (Malmaison, Saint-Cloud, Schönbrunn)… Les couples de griffons symbolisent qu’il s’agit d’un homme, les couples de cygnes, que la personne évoquée est une femme.
L’ensemble du décor date de 1810-11. En effet, la première version de 1807 représentait le portrait de chaque membre de la famille impériale dans les médaillons. Mais cela donnait trop de solennité à cette salle de bain, lieu d’intimité, même si à l’époque, il faut savoir qu’on y recevait volontiers. Ainsi, autour de la baignoire en cuivre étamé, on retrouve du mobilier, principalement des assises -ici une banquette et des chaises gondoles recouvertes de basin blanc-, disposé de manière à accueillir des proches qui, en privilégiés, pouvaient s’entretenir avec l’empereur pendant qu’il prenait son bain. Notez qu’alors, les meubles étaient plus nombreux.
N’hésitez pas, ici, à observer chaque détail de cette étonnante salle de bain: les rideaux vert empire, les robinets dorés en col de cygne, mais aussi et surtout les peintures de ce décor pompéien très Premier Empire avec ses guirlandes, ses fleurs et ses oiseaux, ou encore ses symboles impériaux, de l’abeille au trophée, ou la médaille de la légion d’Honneur.
L’EXPOSITION «RAMBOUILLET 1950, DANS L’INTIMITÉ DU PRÉSIDENT»
Jusqu’au 21 avril 2024, l’exposition «Rambouillet 1950, dans l’intimité du président» plonge les visiteurs dans le faste présidentiel que Vincent Auriol, premier président de la 4e République, s’évertue à redonner au château dans l’immédiate après-guerre.
Car si Rambouillet est utilisé comme résidence secondaire par les présidents de la république depuis 1883, principalement pour accueillir des parties de chasse prestigieuses, ce n’est que dans les années 1950, avec Vincent Auriol, élu le 16 janvier 1947, que le château et son domaine vont devenir une résidence présidentielle de premier plan qui doit servir les enjeux diplomatiques de l’État français. Il faut alors remeubler ce château dépouillé de son mobilier au sortir de la seconde guerre mondiale, afin d’y créer un appartement présidentiel digne de ce nom, et des appartements d’invités dédiés aux hôtes prestigieux de l’État français.
Après avoir été détérioré par l’occupation allemande pendant la seconde guerre mondiale puis par la présence américaine à la Libération, le château de Rambouillet est d’abord rénové à coup de grands travaux. Les plans de certains espaces sont alors revus pour permettre une meilleure circulation, mais aussi de mieux recevoir les invités, à l’image de ce qui se fait dans les grands hôtels; et les infrastructures sont modernisées pour lui apporter tout le confort de l’époque.
Il s’agit également de faire de ce joyau du patrimoine une véritable vitrine contemporaine des savoir-faire et des arts décoratifs français. Pour cela, et afin de pouvoir accueillir les hôtes de la République dans des appartements et des salons à l’élégance luxueuse typiquement française, le couple présidentiel formé par Vincent et Michelle Auriol va commander aux plus grands créateurs de l’époque du mobilier et des décors dignes de l’image moderne et raffinée qu’il veut redonner à la France. Il en sera de même au Palais de l’Élysée qui doit, lui, assoir le prestige et la modernité du pouvoir après les années noires de guerre.
Aujourd’hui, l’exposition proposée par le CMN (Centre des Monuments Nationaux) en partenariat avec le Mobilier National présente certains chefs-d’œuvre de ce mobilier présidentiel prestigieux. Au cœur des salons historiques du château, de l’Appartement d’Assemblée du comte de Toulouse, tout en boiseries 18e, à la salle des Marbres du 16e siècle, c’est toute la modernité et la beauté du design des années 1950 qui s’offre au visiteur.
Dans le Boudoir de la comtesse de Toulouse, d’abord, on découvre un mobilier en partie inspiré de la Renaissance, et imaginé par le décorateur André Arbus, en association avec Jean-Charles Moreux et Louis Sue. Cet ensemble, composé d’une console (Louis Sue), de fauteuils (André Arbus) et d’un cabinet (J-C. Moreux), était destiné à une chambre-bureau située dans la tour François 1er du château. Il finira par meubler la chambre de la reine Juliana des Pays-Bas à l’Élysée, pour sa visite d’État en mai 1950.
L’appartement d’Assemblée présente ensuite les meubles et éléments de décors du cabinet de travail prévu pour le président Vincent Auriol pour son premier séjour au château en août 1947. Cet ensemble commandé par le Mobilier National au décorateur Jacques Adnet en janvier 1945 est composé d’un salon en merisier, d’une bibliothèque et d’un bureau. Les tapisseries des meubles comme le tapis, tissées par les manufactures nationales (Gobelins, Savonnerie), sont signées Voldemar Boberman. On trouve aussi quelques pièces créées par d’autres designers comme le guéridon de Gilbert Poillerat, ou encore la kermesse et la salamandre de Maurice Savin.
Le reste des salons sont pour beaucoup remeublés dans les styles Louis XV, Premier et Second empires, parfaitement adaptés au style du château.
Mais il est un salon qui va faire exception: la salle des Marbres. Ici, Vincent et Michelle Auriol commandent un ensemble inédit de décors et de mobilier au décorateur André Arbus et au maître ferronnier Raymond Subes. Il s’agit de faire de cette pièce Renaissance, décorée de marbre au 18e, et qui donne directement sur le jardin, le salon principal de réception des invités du couple présidentiel. Tapis, canapés, mobilier de jardin… tout, ici, laisse imaginer la douceur des séjours à Rambouillet, des soirées d’automne au coin du feu aux après-midis d’été dans le parc directement accessible. C’est, selon moi, l’une des plus belles pièces du château et de l’exposition.
La visite se poursuit par les appartements des hôtes de l’État, ouverts au public pour l’occasion et remeublés grâce aux prêts longue durée du Mobilier National.
LES APPARTEMENTS DES HÔTES DE LÉTAT
Conçus comme des cabines prestigieuses d’un paquebot de luxe, les appartements des invités présidentiels sont pensés pour garantir l’intimité des hôtes, tout en les impressionnant par le raffinement des décors et la modernité des aménagements.
Ce sont ainsi six espaces, meublés et décorés dans les années 1950 par des créateurs français de renom ou émergents, que le visiteur peut aujourd’hui explorer: de la chambre d’ami à l’appartement des chefs d’État étrangers (Studio, chambre de Madame et chambre de Monsieur), en passant par la reconstitution de la suite numéro 7 et de celle de Jacqueline Auriol, belle-fille du couple présidentiel.
La Chambre d’ami
Cette chambre avec vue sur la perspective du parc est aménagée par la créatrice Suzanne Guiguichon (1901-1985) dès le mois de mai 1946. Si cette pièce au style épuré très contemporain est nommée «Chambre d’ami», elle accueillera en réalité Paul, le fils de Vincent et Michelle Auriol.
La chambre de Jacqueline Auriol
L’épouse de Paul Auriol choisira cette suite qui donne sur la cour d’Honneur pour ses séjours rambolitains. Décorées par Jeanne Blanche Klotz dans un style Art déco influencé par l’histoire du mobilier français, les deux pièces qui composent la chambre serviront ensuite d’appartement de fonction au secrétaire général de l’Élysée. Ici, la salle de bain au mobilier métallique imaginé par Colette Gueden est un bijou de design 1950 et de modernité.
La suite n°7
Cette suite luxueuse est l’une des plus grandes du château. Aménagée par Pierre Lucas en juin 1946 dans un style aux influences néo-classiques, elle se compose d’une chambre, d’un boudoir situé dans la tourelle, et d’une salle de bain.
L’appartement des chefs d’État étrangers
C’est certainement l’appartement le plus impressionnant et qui a accueilli les personnalités les plus importantes du château. Parmi elles, la reine Elizabeth II et le prince Philip, Eisenhower, Nelson Mandela, Vladimir Poutine…
On pénètre d’abord dans ce qu’on appelle le Studio. Ici, le couple d’invités de marque du président peut travailler ou vaquer à ses occupations dans une pièce étonnante, décorée et aménagée par Jean Pascaud dans un style néo-rustique raffiné. Boiseries, pierre de taille, murs vert anis et mobilier en merisier donnent à ce studio une atmosphère intime et reposante.
Une porte mène d’abord à la chambre de Madame. Conçue dans son ensemble par le décorateur Genès Babut en 1949, cette pièce présente un ameublement raffiné aux influences néo-classiques qui lui donnent toute son élégance.
Enfin, depuis le Studio, un escalier mène à la chambre de Monsieur. C’est plus précisément la chambre du chef d’État (homme ou femme), celle de Madame étant dédiée au conjoint (home ou femme). Au dernier étage de la tour François 1er, cette pièce aurait été le lieu de la mort du célèbre roi le 31 mars 1547. Elle est impressionnante avec sa voûte et son style entre néo-gothique et néo-Renaissance qui lui confère une atmosphère très particulière. D’ailleurs, question de goût ou superstition liée à la crainte de dormir là-même où un monarque est décédé, en 1960, la Reine Elizabeth II refusera d’y séjourner.
La visite se termine ici, dans la tour médiévale, la partie la plus ancienne du château, mais aussi la plus prestigieuse de son histoire contemporaine. L’exposition «Rambouillet 1950, dans l’intimité du président», comme le nouveau parcours dans les appartements d’invités, permettent ainsi de découvrir une facette plus récente de l’histoire du château de Rambouillet qui fût l’une des résidences incontournables de la présidence française jusqu’en 2018.
LA LAITERIE DE LA REINE
La laiterie de la Reine, située dans le parc du château, est l’une des constructions les plus remarquables du domaine.
Louis XVI acquiert le château de Rambouillet et son domaine en 1783. Or, il s’aperçoit vite que Marie-Antoinette n’a que peu d’intérêt pour ce château au style démodé et situé sur un terrain marécageux. D’ailleurs, la reine dit de Rambouillet que c’est une crapaudière, un lieu tout juste bon à élever les grenouilles et les crapauds. Pour tenter de lui faire changer d’avis, le roi décide de bâtir une laiterie aux décors luxueusement délicats où son épouse pourrait venir déguster les laitages qu’elle apprécie tant.
Le roi fait ainsi appel à l’architecte Jacques Jean Thévenin qui construit la laiterie et ses dépendances en 1786-1787. L’ensemble se compose de deux pavillons circulaires qui encadrent l’entrée, de divers bâtiments latéraux, et d’un pavillon central qui constitue la laiterie d’apparat où l’on pouvait déguster les produits laitiers.
Le pavillon de gauche, dit pavillon du Roi, décoré de quatre panneaux en grisailles réalisés par Piat Joseph Sauvage et représentant les quatre saisons, servait de lieu de repos. Le pavillon et les bâtiments de droite étaient utilisés pour préparer le lait et les laitages.
Mais c’est le pavillon central, la laiterie d’apparat, qui intéresse plus particulièrement les visiteurs. C’est aussi le bâtiment qui a nécessité le plus de travail et qui, avec ses riches décors réalisés par le sculpteur du roi, Pierre Julien (1731-1804), devait séduire la reine. Sur le fronton extérieur, le médaillon représentant une vache allaitant son veau donne déjà le ton. Bâtie en forme de temple, la laiterie s’ouvre alors sur une rotonde majestueuse. La version que nous en voyons aujourd’hui, avec son sol en marbre polychrome et sa table en marbre et porphyre, date des rénovations conduites par Auguste Famin à la demande de Napoléon 1er en 1807. À l’origine, le sol était en marbre blanc et au centre trônait un bassin circulaire.
L’éclairage zénithal de cette première pièce accentue l’impression de hauteur du plafond à caissons composés de rosaces de feuilles de chênes et de glands. Suivant l’ensemble des murs, des tables de marbre permettaient de présenter la vaisselle en porcelaine de Sèvres qui servait à déguster les laitages. Parmi cette vaisselle, les célèbres bols-seins, dont une copie est exposée dans le pavillon du Roi voisin. En outre, un mobilier en acajou spécifiquement dessiné par le peintre décorateur Hubert Robert et réalisé par l’ébéniste Georges Jacob était installé ici. Ce mobilier dit «étrusque», composé de chaises, fauteuils et tabourets, est en partie visible dans la salle à Manger du Petit Trianon à Versailles, ou ici dans le pavillon du Roi. Sur les murs, on peut enfin observer quatre médaillons sculptés par Pierre Julien qui représentent les activités laitières: ‘La Traite de la vache’, ‘Le Barattage du lait’, ‘La Tonte des moutons’ et ‘La Distribution de sel aux chèvres’.
La pièce suivante, dite «salle des fraîcheurs», est la plus éblouissante. Lorsque les deux lourdes portes qui la séparent de la rotonde s’ouvrent, on est instantanément transporté dans un univers féérique, au cœur d’une grotte enchanteresse. Face à nous, la sculpture de Pierre Julien ‘Amalthée et la chèvre de Jupiter’ (1787): sur le mont Ida en Crète, Jupiter, enfant, est caché par sa mère Cybèle pour le protéger de la colère de son père, Saturne. Une nymphe nommée Adrastée prend soin de le nourrir à partir du lait qu’elle traie de la chèvre Amalthée. Ainsi repu, Jupiter ne pleure plus et évite d’alerter son père par ses cris.
Lors de sa création, cette sculpture était agrémentée d’une fontaine qui ruisselait dans l’ensemble de la laiterie pour la rafraîchir. Après la Révolution, elle a quitté Rambouillet pour Versailles, le Sénat puis le Louvre. Ce n’est qu’en 1953 qu’elle a retrouvé sa place dans la laiterie de la Reine.
Trois reliefs de Pierre Julien viennent enfin compléter les décors muraux de la salle des fraîcheurs. Un médaillon représente une mère allaitant son enfant au-dessus de la porte, et deux frises d’inspirations mythologiques représentent: sur le mur de gauche, ‘Jupiter enfant chez les Corybantes’, ces danseurs et musiciens qui célèbrent le culte de Cybèle et qui, par leur musique, couvrent les pleurs de Jupiter enfant; et sur le mur de droite, ‘Apollon gardant les troupeaux d’Admète’.
La laiterie de la Reine est un bijou d’architecture néo-classique. Situé à quelques dizaines de minutes à pied du château, c’est un passage obligé pour qui visite le domaine de Rambouillet. Cependant, si elle nous émerveille aujourd’hui, en a-t-il été autant pour sa destinataire initiale? Malheureusement pour le pauvre Louis XVI, non. En effet, alors qu’il organise en grandes pompes l’inauguration de la laiterie qu’il dédie à son épouse, cette dernière n’est en aucun cas séduite par les décors qui, en réalité, sont beaucoup trop masculins et froids pour cette reine qui aime la gaité et l’intimité. Les sculptures, visions idéalisées des travaux laitiers, représentent essentiellement des femmes aux corps négligemment dénudés. Or ce décorum sensuel et ultra féminisé, conçu par des hommes, relève finalement plus du fantasme masculin que du goût féminin de l’époque. Marie-Antoinette n’utilisera ainsi jamais sa laiterie, au grand désespoir du pauvre Louis XVI.
Aujourd’hui, le pavillon du Roi voisin de la laiterie d’apparat permet de découvrir l’histoire et les clefs de lecture de ce lieu atypique à travers de nouveaux outils, des objets -vaisselle, maquettes-, des reproductions de décors et de mobilier… On y explore aussi les secrets de la chaumière aux Coquillages, autre bijou architectural du domaine.
MON AVIS
Explorez le château de Rambouillet et son domaine, c’est voyager à travers 650 ans d’histoire, du Moyen-Âge à la 5e République, en passant par la Renaissance, l’Ancien Régime et deux empires. Une expérience que je vous recommande, d’autant plus que le domaine est accessible facilement en transport (30 minutes de train depuis Paris).
Si la visite permanente permet d’appréhender le château du 18e siècle, l’appartement de Napoléon 1er, désormais ouvert au public, vous plongera dans l’intimité fastueuse d’une demeure impériale, tandis que l’exposition dédiée à la résidence présidentielle des années 1950, comme le parcours dans les appartements des hôtes d’État, vous feront entrer dans l’histoire moderne de ce haut lieu de notre patrimoine national.
Et pour compléter votre visite, ne manquez pas également d’explorer l’ensemble du domaine: le parc, ses canaux, mais aussi ses fabriques, de la chaumière aux Coquillages à la magnifique laiterie de la Reine.
INFORMATIONS PRATIQUES
Le château, la laiterie et la chaumière sont ouverts tous les jours sauf les mardis
Du 1er octobre au 31 mars: 10h-12h et 13h30-17h
Du 1er avril au 30 septembre: 10h-12h et 13h30-18h
Dernier accès 30 minutes avant la fermeture
Fermetures le 1er janvier, le 1er mai et le 25 décembre
Le parc du Château est en accès libre et gratuit
Du 1er octobre au 31 mars: 10h-17h
Du 1er avril au 30 septembre: 8h-21h
Tous les détails ici, sur le site du château.
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