Du 10 avril au 13 octobre 2024, le Musée des Arts Décoratifs de Paris (MAD Paris) propose de revenir sur l’histoire des grands magasins à travers une exposition inédite: « La naissance des grands magasins. Mode, design, jouets, publicité (1852-1925) ».
De leur architecture monumentale aux décors élaborés de leurs célèbres vitrines (qui n’a pas rêvé devant les automates et lumières de Noël?), en passant par la diversité de leur offre (mode, maison, beauté…), ces temples de la vente et de l’élégance parisienne font aujourd’hui partie intégrante de notre paysage urbain. Mais leur naissance, dans la seconde moitié du 19e siècle, est en réalité le point de départ d’une véritable révolution économique, politique et sociale.
Véritables symboles d’une époque en mutation, les grands magasins ont en effet bouleversé les modes de consommation, inventant les nouveaux codes du commerce (prix fixes, soldes, vente par correspondance, saisonnalité et événementialisation des ventes, marketing…), et initiant certaines évolutions sociales majeures (protection des emloyé.e.s, suivi médical, intéressement…). Ainsi, en même temps que la France du Second Empire (1852-1870) fait sa révolution économique et industrielle, les grands magasins accompagnent son entrée dans la modernité.
Le Bon Marché (Aristide et Marguerite Boucicaut, 1852), les Grands Magasins du Louvre (Alfred Chauchard, 1855), À la Belle Jardinière (1856), le Bazar de l’Hôtel de Ville (François-Xavier Ruel, et Marie-Madeleine Poncerry, 1860), les Grands Magasins du Printemps (Jules Jaluzot, 1865), la Samaritaine (Ernest Cognacq et Louise Jay, 1865), les Magasins Réunis (1866), les Grands Magasins de la Paix (1869), les Grands Magasins de la Place de Clichy (1877) ou les Galeries Lafayette (Théophile Bader et Alphonse Kahn, 1896)… les grands magasins seront nombreux à venter les plaisirs du lèche-vitrine et à plaider la démocratisation de la mode.
À travers plus de 700 œuvres (affiches, catalogues, photographies, objets, vêtements et accessoires, jouets, mobilier…), la nouvelle exposition passionnante du MAD Paris explore, en une dizaine de sections richement documentées, l'évolution et les transformations fulgurantes du commerce parisien, de la création du premier de ces grands magasins, le Bon Marché en 1852 (qui inspira Émile Zola dans son roman ‘Au Bonheur des Dames’), jusqu'à leur consécration internationale lors de l'exposition des Arts Décoratifs et Industriels Modernes de 1925.
1. UNE ÉPOQUE PROPICE AU CHANGEMENT
L’émergence des grands magasins n’aurait pu se faire sans un terrain économique, politique et social favorable. En plein essor industriel et économique, la société du Second Empire est aussi en grande transformation, offrant un cadre propice au changement.
En même temps qu’elle permet à la France d’accroître sa production, la révolution industrielle va également engendrer une diversification des types de biens disponibles. Entre autres acteurs qui vont émerger et bénéficier de ce contexte, les grands magasins vont pouvoir se spécialiser dans la diffusion d’une offre large, variée et désormais produite en série. Cette industrie florissante et ces mutations commerciales, qui font alors la fierté de l’empire, seront au cœur des Expositions Universelles de Paris en 1855 et 1867.
Par ailleurs, cette industrialisation croissante entraîne le développement d’une classe ouvrière, et avec elle, celui d’une bourgeoisie (industriels, banquiers, commerçants) avec de nouveaux codes et un style de vie où l’argent et le paraître tiennent toute leur place. Ces bourgeois en quête de visibilité sociale seront ainsi les premières cibles des grands magasins, les vêtements et toilettes jouant, en effet, un rôle central pour assoir le prestige de leur rang, notamment lors des nombreux événements mondains qu’offre la capitale. Car l’époque est propice à la multiplication des loisirs: Spectacles, bals, théâtres, sorties au parc… les activités sociales sont nombreuses. Parmi elles, la visite des grands magasins devient rapidement l’un des loisirs les plus prisés de la haute société. À tel point que ces temples du commerce et de l’élégance vont prendre des allures de palais, dans leur architecture extérieure comme dans la richesse décorative de leurs intérieurs: façades monumentales, ambiances théâtrales, espaces décloisonnés et grands volumes grâce aux structures métalliques, salons luxueux…
Car en parallèle, de cette libéralisation de l’économie, l’empereur Napoléon III acte la modernisation des grandes villes de France, et en particulier de Paris dont il veut faire la capitale moderne et prestigieuse d’un Second Empire fastueux. Les grands travaux d’urbanisation sont ainsi lancés sous la supervision du baron Haussmann, et entre 1853 et 1868, ce ne sont pas moins de 18 000 maisons, sur les 30 770 que la capitale comptait, qui sont abattues - soit plus de la moitié. Paris change de visage (plus de 60% de sa surface est modifiée) et s’agrandit – en 1860, les faubourgs populaires de l’Est et les villes de banlieues plus cossues de l’Ouest sont intégrés à la capitale qui s’articule désormais en 20 arrondissements. La ville laisse ainsi assez de place à la démesure des grands magasins et à leur explosion dans de nombreux quartiers. La population croissante - on passe de 983 000 à 1 825 000 habitants – représente, en outre, une clientèle potentielle pour ces nouveaux centres de consommation.
Par ailleurs, le chemin de fer se développe à vitesse grand V, et à la fin du Second Empire, il est possible de traverser la France en moins d’une journée. On passe ainsi de 3600 km de voies en 1850 à 17000 km en 1870 (soit la moitié du réseau actuel). Avec le train, le tourisme se développe (le trafic de voyageurs est multiplié par quatre), augmentant la clientèle potentielle pour les magasins parisiens, mais créant aussi de nouveaux besoins (vêtements, bagagerie…) pour la bourgeoisie et l’aristocratie qui n’hésite plus à voyager (nouvelles stations balnéaires, destinations de campagnes...). Le transport des marchandises est, lui aussi, facilité, et avec lui, l’approvisionnement des commerces, comme la vente par correspondance qui permet de toucher une cible élargie de clients en région.
2. L'HISTOIRE DES GRANDS MAGASINS: UNE RÉVOLUTION SOCIALE ET COMMERCIALE
Au-delà de leur impact économique, les grands magasins ont aussi fortement marqué l’évolution du monde du travail. Si les conditions restent encore difficiles (13h de travail par jour, rémunération encore faible…), le modèle du grand magasin va révolutionner les avantages sociaux proposés aux salariés. Ainsi, à l’image du Bon Marché qui sera le premier à innover en ce sens, l’organisation des grands magasins va marquer un tournant en termes d’avancées sociales: les employé.e.s bénéficient désormais, par exemple, d’une caisse de prévoyance, d’un intéressement, de consultations médicales gratuites, ou de cours du soir; mais aussi d’une pouponnière pour les jeunes mères, ou d’une maison de repos pour les malades…
Mais le concept des grands magasins est aussi et surtout novateur d’un point de vue commercial. Les premières techniques du marketing y sont ainsi initiées, et les bases de ce qui deviendra la société de consommation moderne y sont lancées.
On invente ainsi le prêt-à-porter: là où l’usage voulait que l’on vienne avec son tissu chez la couturière pour réaliser ses vêtements, on va pouvoir trouver des produits finis directement disponibles à l’achat. Leur diffusion à Paris, en France et même dans le monde, à travers les images des catalogues édités par les grands magasins, mais aussi et surtout les magazines de mode, contribue, par ailleurs, à créer le mythe et la silhouette de la Parisienne qui restera, et reste encore aujourd’hui, symbole d’élégance.
Par ailleurs, les prix sont désormais fixes - auparavant ils n’étaient bien souvent pas affichés et changeaient selon les clients. Les marges, quant à elles, sont réduites, et permettent de proposer des produits plus accessibles – c’est le début de la démocratisation de la mode. Il devient également possible d’échanger les articles si l’on n’est pas satisfait ou si on change d’avis – une vraie nouveauté pour l’époque! Les grands magasins vont, en outre, chercher à toucher de nouvelles cibles: femmes, hommes, mais aussi désormais les enfants – et leur parents - à travers tout une série de produits qui leurs sont destinés et habilement communiqués - Jeux, jouets, vêtements…
Parmi les autres grandes innovations que nous connaissons encore aujourd’hui et que les grands magasins ont inventées, la vente par correspondance va désormais permettre aux clients, à Paris ou ailleurs, de commander des objets, vêtements, meubles et accessoires à distance, et de les recevoir grâce à la mise en place d’un système de livraison à domicile. On va également événementialiser les ventes lors d’opérations spécifiques organisées à différents moments de l’année et communiquées à grand renfort d’affiches publicitaires.
Ce sont aussi les grands magasins parisiens qui inaugurent les premières soldes. Alors que leur modèle économique repose sur la présentation à la vente d’un grand volume de marchandises, ils vont avoir l’idée d’écouler leurs stocks en séduisant les client.e.s grâce à une politique saisonnière de rabais.
D’autre part, à une époque où l’électricité n’est pas encore répandue, on va créer les vitrines: les larges baies vitrées permettent ainsi de faire entrer plus de luminosité tout en exposant les produits côté rue pour donner envie aux passant.e.s de franchir la porte. Car c’est, ici aussi, une nouveauté: on peut entrer et sortir du grand magasin à sa guise, là où l’accès aux boutiques traditionnelles se fait encore au bon vouloir du commerçant, après avoir préalablement sonné à la porte.
Et une fois que le client est là, tout est fait pour qu’il reste le plus longtemps possible. Le grand magasin est ainsi également un lieu de vie où l’on passe souvent la journée à parcourir les allées, à regarder et toucher la marchandise (ce qui est nouveau), mais aussi à profiter des cafés, des salons de lectures ou des expositions de tableaux. On y trouve également des toilettes: une révolution pour les dames qui, à cause de la complexité de leur tenue, sont alors souvent obligées d’attendre d’être chez elles, au risque de faire des malaises.
Enfin, soucieux de jouer un rôle d’incubateurs et non pas seulement de revendeur, les grands magasins, le Printemps en tête (en 1912), vont intégrer des ateliers d’art à leurs activités. Ces derniers, composés d’artistes décorateurs et de designers, vont proposer des objets d’art, du papier peint ou du mobilier plus exclusifs à une clientèle riche et collectionneuse.
Ces ateliers d’art seront mis à l’honneur lors de l’Exposition Internationale des Arts Décoratifs et Industriels Modernes de Paris, en 1925, où chaque grand magasin aura son pavillon décoré par les plus grands architectes du moment.
MON AVIS
Tout le monde les connaît, mais je suis certains que peu connaissent l’histoire des grands magasins et les innovations commerciales, sociales et sociétales qu’ils ont engendrées.
L’exposition du MAD Paris permet de découvrir l’émergence et le développement de ces grands magasins, et d’admirer de nombreux documents précieux (affiches, photos, films), des vêtements et accessoires rares (robes, chaussures, bijoux, lingerie), mais aussi des objets étonnants comme cette riche collection de jouets pour enfants, ou encore ces meubles et objets d’art originaux.
Comme souvent, les expositions organisées par le MAD Paris sont très bien construites, à la fois complètes, claires et pédagogiques. Je vous en conseille donc la visite sans hésitation.
INFORMATIONS PRATIQUES
Quoi ? « La naissance des grands magasins. Mode, design, jouets, publicité (1852-1925) »
Quand ? Du 10 avril au 13 octobre 2024 du mardi au dimanche de 11h à 18h - nocturne le jeudi jusqu’à 21h
Où ? Musée des Arts Décoratifs de Paris (MAD Paris) 107 rue de Rivoli, 75001 Paris Métro : Palais-Royal, Pyramides, Tuileries
Qui ? Les amateurs de mode, d’histoire, de patrimoine, les curieux et toutes celles et ceux qui ont déjà parcouru les allées des grands magasins.
Combien ? Plein tarif: 15 € - tarif réduit: 10 € (gratuit pour les moins de 26 ans)
Plus d’informations sur le site du MAD Paris
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