Jusqu’au 25 août 2024, le Musée Carnavalet-Histoire de Paris propose une exposition inédite autour de l’une des plus célèbres fontaines parisiennes: la Fontaine des Innocents dans le quartier des Halles. L’occasion de revenir sur l’histoire de cette fontaine emblématique de la Renaissance tout juste rénovée.
DU CIMETIÈRE À LA FONTAINE DES INNOCENTS
Établi ici au début du Moyen-Âge, le cimetière des Innocents devient vite le principal lieu d'inhumation de Paris, et en 1137, le roi Louis VII installe le marché central de la capitale à proximité. Une église y est alors bâtie, l’église des Saints-Innocents (en référence au massacre des enfants de Judée par le roi Hérode après la naissance de Jésus décrit dans la Bible). Le cimetière, célèbre pour ses fosses communes, accueille des milliers de sépultures, notamment durant les épidémies de peste. À la fin du Moyen Âge, il est agrandi, et est entouré d'une galerie ornée de fresques macabres, dont la célèbre "Danse macabre" qui reflète les préoccupations de l'époque face à la mort.
À l'occasion de l'entrée triomphale de roi Henri II à Paris en 1549, les autorités décident d'embellir la ville et commandent la construction d'une fontaine monumentale. La Fontaine des Innocents est alors érigée à l'angle de la rue Saint-Denis et de la rue aux Fers (aujourd'hui rue Berger), en lieu et place d’une ancienne fontaine datée d’avant 1273. Elle est conçue par l'architecte Pierre Lescot (sans certitude) et ornée par le sculpteur Jean Goujon de décors dédiés au thème aquatique: divinités mythologiques, créatures marines…
Au-delà de sa beauté toute Renaissance (elle devient vite célèbre pour ses qualités artistiques), la fontaine des Innocents est surtout une source d’alimentation en eau indispensable au quartier des Halles.
LA FONTAINE DES INNOCENTS : UN STYLE RENAISSANCE DE RÉFÉRENCE
D’un point de vue architectural, elle s’inspire de l’arc de triomphe d’Ancône, en Italie, bâtie au 2e siècle pour célébrer l’empereur romain Trajan. La fontaine s’articule en trois arcades dont une, donnant sur la rue Saint-Denis, forme une loggia que l’on pouvait rejoindre par un escalier.
Ses décors se composent de reliefs, bas-reliefs, frontons triangulaires, pilastres dont les sculptures, dans le style purement maniériste de l’époque, représentent des nymphes, un triton (divinité à buste d’homme et queue de poisson), des monstres marins, des génies rieurs (symbolisant la fécondité), des corps de femmes, sensuels et drapés, des animaux aquatiques… tout pour rappeler l’eau, qu’elle provienne de sources, de rivières ou des océans.
La nouvelle fontaine, et son créateur, Jean Goujon, deviennent très vite populaires et célèbres au-delà de la capitale. Au 17e siècle, les guides touristiques qui se développent et les écrits sur l’art en font un monument incontournable, et un chef-d’œuvre d’influence pour de nombreux artistes.
Jean Goujon (1510-1567) devient un artiste de référence. Avant et après la Fontaine des Innocents, il s’est illustré avec talent dans plusieurs édifices : L’église Saint-Maclou de Rouen en 1541 ; le jubé et certains décors et reliefs de l’église Saint-Germain l’Auxerrois, en face du Louvre (sous la supervision de Pierre Lescot), en 1544 ; les décors sculptés de la grande façade Renaissance de la cour carré du Louvre, en 1548, réalisée par Pierre Lescot ; ou encore la magnifique salle des Cariatides du Louvre, salon de réception célèbre pour ces quatre figures féminines (cariatides) supportant la tribune des musiciens et sculptées par Jean Goujon en 1550.
LA FONTAINE DES INNOCENTS : DE TRANSFORMATIONS EN CONSERVATIONS
Par la suite, de la même façon que le quartier des Halles et le cimetière des Innocents subissent de nombreuses transformations au fil des siècles, la fontaine évolue elle-aussi. Dès 1765, pour des questions d’hygiène, on interdit les inhumations dans l’enceinte de Paris, et le cimetière des Innocents est fermé. Les ossements sont transférés dans les catacombes et l’église des Saints-Innocents est détruite pour laisser la place, en 1785, à un nouveau marché aux herbes et aux légumes.
La fontaine, considérée comme un véritable chef-d’œuvre, est démontée puis replacée au centre de la nouvelle place. Sa structure évolue vers un plan carré, dont la quatrième face, au nord, inexistante jusqu’alors, est sculptée en 1788 par Augustin Pajou (1730-1809). On peut y observer une nymphe et des décors dans le style de Goujon s’inspirant de ceux de la façade Renaissance du Louvre. D’autres artistes interviendront également comme François Daujon, qui remplace les robinets en forme de lions par des médaillons à tête de Méduse, ou Nicolas Lhuillier.
Après avoir été alimentée par les sources de Ménilmontant et Romainville, via l’aqueduc du Pré-Saint-Gervais, jusqu’au début du 18e siècle, la Fontaine des Innocents reçoit l’eau de la Seine grâce à la pompe hydraulique du pont Notre-Dame. Mais son débit reste bien trop faible pour l’activité et la population du quartier des Halles. Aussi, en 1809, sous le premier Empire, elle est raccordée au nouveau canal de l’Ourcq, créé en 1802 par Napoléon pour améliorer l’approvisionnement de Paris en eau potable.
Pour l’occasion, une grande fête est organisée en présence de l’empereur. Mais dès 1810, on s’aperçoit que la fontaine est menacée par l’intensité du nouveau débit qui abîme les sculptures du 16e siècle. On décide alors de démonter les décors originaux pour les conserver au Louvre et de les remplacer par des copies. La fontaine est ensuite réhaussée sur un haut socle duquel des lions crachent des jets dans quatre bassins en forme de sarcophages.
LA FONTAINE DES INNOCENTS : LIEU DE VIE ET D’HISTOIRE
Au cœur du marché aux fruits et légumes, la fontaine des Innocents s’inscrit dans le quotidien des Parisiens tout au long des siècles qu’elle traverse. Mais elle sera aussi le théâtre de quelques épisodes historiques importants.
Outre le passage du cortège royal d’Henri II en 1549, pendant la Révolution, la fontaine sera l’un des lieux choisis pour proclamer la Constitution du 3 septembre 1791. Un arbre de la Liberté y sera même érigé. Plus tard, lors de la révolution des Trois Glorieuses, les 27, 28 et 29 juillet 1830, qui portera Louis-Philippe d’Orléans sur le trône de France, des combattants y sont inhumés, et la fontaine devient, en plus d’être un lieu de vie, un lieu de mémoire.
QUAND HAUSSMANN RENCONTRE LA FONTAINE DES INNOCENTS
Dans la seconde moitié du 19e siècle, l’arrivée au pouvoir de Louis-Napoléon Bonaparte, neveu de Napoléon 1er, marque un tournant pour l’histoire Paris. Alors que le Second Empire (1852-1870) vient tout juste d’être instauré par celui qui se fait désormais appeler Napoléon III, le baron Georges-Eugène Haussmann est nommé préfet de la Seine par l’empereur pour moderniser l’urbanisme français. Il s’agit d’abord d’assainir les villes et de les sécuriser, sans oublier de les embellir.
Parmi les villes qu’Haussmann doit transformer, Paris qui doit refléter la modernité, la puissance et le prestige de l’Empire, et sous la devise «Paris embellie, Paris agrandie, Paris assainie», le style haussmannien va s’imposer.
Lancé en 1853, les grands travaux de Napoléon III et Haussmann vont grandement affecter le quartier des Halles. Ainsi, le 17 octobre 1858, le marché des Innocents est remplacé par les halles de verre et de métal créés par Victor Baltard. Les travaux doivent assainir le « ventre de Paris », comme le surnommera Émile Zola en 1873. Et à l’image du reste de la capitale, sous la supervision du Directeur du service municipal des Promenades et Plantations Adolphe Alphand, le quartier se voit doté d’espaces verts pour permettre aux Parisiens de respirer.
Pour bâtir les nouvelles halles, la Fontaine des Innocents doit être déplacée à l’endroit où elle se trouve aujourd’hui. En 1859, elle est réinstallée au cœur d’un square agrémenté d’arbres, de pelouses et de parterres fleuris. Le monument se dote, quant à lui, d’un nouveau bassin circulaire et d’un socle pyramidal orné de six vasques disposées en gradins, le tout conçu par l’architecte Gabriel Davioud.
En 1862, la fontaine des Innocents est officiellement protégée et classée aux monuments historiques.
LE 20E SIÈCLE, LE FORUM DES HALLES ET LA FONTAINE DES INNOCENTS
Le déplacement des halles vers le marché de Rungis en 1960 va totalement modifier le paysage du quartier. Les pavillons de Baltard sont détruits entre 1971 et 1974 pour créer un vaste centre commercial, le Forum des Halles, et la gare de RER de Châtelet-Les Halles.
Si on a pensé un temps déplacer de nouveau la Fontaine des Innocents, sa fragilité a imposé aux architectes et ingénieurs de la maintenir à son emplacement après avoir renforcé ses fondations. En 1985, après le chantier du Forum, une place de pavés et de dalles de pierre, très minérale, est créée autour de la fontaine : c’est l’actuelle place Joachim-du-Bellay.
Chef-d’œuvre de la Renaissance française, plusieurs fois modifiée mais jamais dénaturée, la fontaine des Innocents a été restaurée en 2023 et 2024. Les Parisiens et les touristes peuvent de nouveau l’admirer, resplendissante, comme beaucoup d’entre eux l’ont fait auparavant depuis le 16e siècle.
SOURCES
Visite et dossier de presse de l’exposition « la Fontaine des Innocents, histoires d’un chef-d’œuvre parisien », du 24 avril au 25 août 2024 au Musée Carnavalet.
https://www.carnavalet.paris.fr/expositions/la-fontaine-des-innocents-0
Comentarios