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Photo du rédacteurIgor Robinet-Slansky

LE CHÂTEAU DE BAGATELLE, LA FÊTE POUR EMBLÊME

Dernière mise à jour : 15 mars

 


Au cœur du bois de Boulogne, près de la cossue Neuilly-sur-Seine, s’élève le château de Bagatelle, un joli pavillon de style néo-palladien, délicatement posé au cœur d’un élégant parc et de jardins très appréciés des Parisiens en quête de calme et de promenades bucoliques. Un lieu à la réputation quelque peu sulfureuse, qui porte l’empreinte de chacun de ses propriétaires successifs, et qui reste inévitablement lié au plus célèbre d’entre eux: le comte d’Artois, second frère de Louis XVI et futur Charles X (règne 1824-1830), qui y organisera de nombreuses fêtes. D’ailleurs, au 18e siècle, le nom de ‘Bagatelle’, qui dérive de l’italien ‘bagatella’ désignant ce qui a peu d’importance, qualifiait ce qui relevait de la frivolité, comme ici, ce lieu d’apparat sans autre utilité que celle de la fête et de la débauche.

 


Les jardins et les bâtiments qui composent le domaine sont la propriété de la ville de Paris depuis 1905. La gestion et l’entretien du château ont été confiés à la Fondation Mansart qui, depuis 2021, en assure la restauration (les extérieurs d’abord -menuiseries, toitures et façades-, puis les décors intérieurs). Une rénovation qui doit conduire à sa réouverture au public d’ici fin 2024.


Pour ma part, J’ai eu la chance de visiter ce lieu d’histoire(s) en avant-première en décembre 2023 grâce à la Fondation Mansart, et d’explorer les pièces vides mais richement décorées de ce qu’on appelait alors ‘la Folie d’Artois’, où l’esprit de fête semble encore résonner de la musique et des rires d’autrefois.


Une visite lors de laquelle j’ai pu m’entretenir avec Océane Léonard, assistante chargée de Communication au sein de la Fondation Mansart. Vous pouvez retrouver son interview dans le podcast dédié (ici sur ce site et sur les plateformes d’écoute habituelles). Elle y explique, entre autres, les missions de la Fondation, ainsi que les enjeux et objectifs de la restauration du domaine de Bagatelle, mais elle partage aussi et surtout quelques anecdotes parfois méconnues sur son histoire et ses propriétaires.

 

Je vous propose donc de découvrir l’histoire de ce château de réception festif, et d’en explorer les pièces sans filtre, encore partiellement brutes de toute rénovation.


BAGATELLE, UNE FOLIE IMAGINÉE POUR LA FÊTE

 

Si le château actuel, daté de 1777, est bel et bien une commande du comte d’Artois à son architecte François-Joseph Bélanger, l’histoire du domaine de Bagatelle remonte, quant à elle, au début du 18e siècle.

 

À cette époque, et lors des siècles précédents, le Bois de Boulogne est réservé aux chasses royales. Il est alors clos par plusieurs portes, gardées par des portiers qui logent dans des pavillons mis à leur disposition.

 


L’une de ces résidences de fonction, l’ancêtre du château de Bagatelle, située près de Neuilly, héberge Louis-Paul Bellanger, avocat à la cour des aides (cour d’appel dédiée aux contentieux fiscaux), avant d’accueillir en 1720, le duc d’Estrées, maréchal de France. Ce dernier transforme sa demeure en un luxueux pavillon qu’il décide d’offrir à son épouse. Celle qu’on appelle alors ‘la maréchale’ a la réputation d’être de toutes les fêtes. Elle compte d’ailleurs pour bonne amie Louise-Anne de Bourbon, fille légitimée de Louis XIV et de sa favorite Madame de Montespan, plus connue sous le titre de Mademoiselle de Charolais, qui vit dans le château de Madrid tout proche. Une comtesse réputée pour sa débauche et son faible pour le libertinage.



Très vite, la résidence de la maréchale devient le lieu de fastueuses soirées aux mœurs débridés où, parmi les habitués, on peut croiser Philippe d’Orléans (1674-1723), alors Régent du royaume pendant la minorité de Louis XV (règne 1715-74), et plus tard, le jeune roi lui-même qui ne manque pas d’assister aux fêtes galantes désormais célèbre de ce pavillon qu’on surnomme déjà ‘Bagatelle’. Ce surnom fait, ici, référence à la fois à la frivolité des événements qui s’y déroulent, mais aussi, avec ironie, au prix démesuré qu’a coûté cette ‘petite construction’.

 

À la mort de la maréchale et duchesse d’Estrées, le 11 juin 1745, le domaine est revendu, et plusieurs propriétaires se succèdent jusqu’à ce qu’Étienne Guino, marquis de Monconseil (1695-1782), un haut gradé militaire, en prenne possession. Comme le duc d’Estrées, le marquis laisse les rênes de son pavillon à son épouse qui, comme la maréchale avant elle, y organise de nombreuses fêtes libertines auxquelles est toujours conviée la sulfureuse Mademoiselle de Charolais.



En 1770, pour des raisons financières, et alors qu’elle vient pourtant d’agrandir son parc, la marquise de Monconseil n’a d’autre choix que de revendre son domaine. Après l’aristocrate Monsieur de Boisgelin, en 1772, et le financier Laurent Grimod de La Reynière en 1774, c’est Philippe-Gabriel de Hénin-Liétard, prince de Chimay qui en devient propriétaire. Ce dernier n’est autre que le capitaine des gardes de Charles-Philippe de France (1757-1836), comte d’Artois et frère du nouveau roi Louis XVI (règne 1774-1792). Alors qu’un jour, il rend visite à son capitaine, le comte tombe immédiatement sous le charme du domaine de Bagatelle qu’il s’arrange pour racheter le 1er novembre 1775. Son idée? Transformer ce pavillon en un château dédiés aux fêtes et aux divertissements. Un lieu qui lui permettra aussi de gagner en liberté et de fuir la cage dorée qu’est le château de Versailles.

 

Point biographie : qui est Charles-Philippe de France, comte d’Artois ?


Charles-Philippe de France naît le 9 octobre 1757 au château de Versailles. Titré comte d’Artois, il est le 7e enfant du Dauphin de France, fils de Louis XV, Louis-Ferdinand de France (1729-1765), et son 5e et plus jeune fils. À la mort de ses deux frères aînés, c’est son frère Louis-Auguste, futur Louis XVI, qui doit devenir Dauphin et héritier du trône. Il le sera plus vite que prévu puisque son père meurt le 20 décembre 1765 alors que Louis XV, leur grand-père, règne toujours. Le 10 mai 1774, Louis XVI devient roi.

 


Promis à Louise-Adélaïde de Bourbon-Condé, il épouse finalement Marie-Thérèse de Savoie le 16 novembre 1773, afin de renforcer l’alliance entre la France et la Savoie. Ensemble ils auront quatre enfants : Louis-Antoine d’Artois (1775-1844), duc d’Angoulême, qui épousera après la Révolution la fille de Marie-Antoinette, Marie-Thérèse de France ; Mademoiselle d’Artois (1776-1783) qui mourra jeune et n’aura pas de prénom car elle n’est pas encore baptisée le jour de son décès ; Charles-Ferdinand d’Artois (1778-1820), duc de Berry, le fils préféré ; et Mademoiselle d’Angoulême (6 janvier - 22 juin 1783) qui ne vivra que quelques mois et n’aura également pas de prénom. 



Lorsque la révolution éclate, il est l’un des premiers à fuir la France dans la nuit du 16 au 17 juillet 1789, lançant le mouvement de l’émigration de la noblesse française. Réfugié à Turin, dans le Piémont, il s’emploie à convaincre les cours étrangères d’intervenir au secours de son pays et de son frère, jusqu’en juin 1791, où il retrouve en exil son deuxième frère, le comte de Provence, qui était resté avec Louis XVI jusqu’à la fuite manquée de la famille royale, rattrapée à Varennes le 20 juin 1791. Le comte d’Artois engage une série de voyages, de cours européennes en cours européennes, jusqu’en Angleterre où il tente d’opérer une contre-révolution avec une armée dite « l’armée des Princes », mais il est stoppé à Valmy le 20 septembre 1792.

 

Nommé Lieutenant-Général du Royaume en février 1793, il se rend en Russie pour solliciter l’aide de Catherine II, mais l’alliance Russie-Angleterre nécessaire ne prendra pas et les plans échouent, dont celui, en 1795, d’un débarquement sur l’île d’Yeu en Vendée pour aider les royalistes en guerre contre les révolutionnaires. Finalement, en 1799, il s’installe à Londres où il restera jusqu’en 1814, de la fin de la Révolution jusqu’à la chute du Premier Empire de Napoléon 1er qui abdique en avril 1814.

 

Son deuxième frère, le comte de Provence, est alors appelé par le Sénat français à monter sur le trône de France sous le titre de roi Louis XVIII. C’est le début de la première période de Restauration qui voit le retour d’un roi à la tête du pays. Le comte d’Artois accompagne son frère qu’il a aidé dans la préparation de son retour en France, et devient Colonel Général des Gardes Nationales le 15 mai 1814. Mais Napoléon Bonaparte, exilé sur l’île d’Elbe au large de l’Italie, réussit à s’enfuir et à remonter depuis le sud de la France jusqu’à Paris où il reprend le pouvoir le 20 mars 1815. Ce nouveau règne, qu’on appellera la Période des Cent Jours, est de courte durée puisque l’ex-empereur est défait par les coalitions étrangères à Waterloo le 18 juin 1815. Il est alors contraint d’abdiquer le 22 juin, et le 8 juillet 1815, Louis XVIII remonte sur le trône alors que son ennemi, Bonaparte, est exilé par les Anglais sur l’île de Sainte-Hélène où il mourra le 5 mai 1821. La seconde période de Restauration s’ouvre ainsi en France.



Le 16 septembre 1824, Louis XVIII meurt, et c’est donc naturellement que le comte d’Artois lui succède, sous le nom de Charles X. Contrairement à son frère, il décide d’organiser une cérémonie de sacre à Reims, le 29 mai 1825, comme la tradition d’Ancien Régime l’exigeait pour les nouveaux monarques. Ce sacre d’un autre temps surprendra l’opinion et marquera les prémices d’un règne effectivement nostalgique de la monarchie d’Ancien Régime. Alors que Louis XVIII avait ouvert la voie à une monarchie plus en phase avec l’héritage révolutionnaire, Charles X apparaît plus conservateur et désireux de revenir sur les acquis libéraux. Le nouveau roi, soutenu par les ultraroyalistes, va travailler à restaurer l’Ancien Régime et effacer la Révolution de 1789. Il prend alors une série de mesures autoritaires, parmi lesquelles: la limitation du droit de vote, l’indemnisation des nobles qui avaient émigré (mesure qu’on appellera le « milliard des émigrés »), ou encore par exemple, l’instauration d’une loi sur le Sacrilège afin de redonner à la France une identité et une morale toute chrétienne…

 

Finalement, après plusieurs dissolutions de la Chambre (assemblée), et une alternance de ministères plus ou moins modérés et surtout plus ou moins compétents, d’ultimes élections ont lieu en juillet 1830, renforçant l’opposition libérale au régime monarchique de Charles X. Ce dernier, s’appuyant sur la Charte constitutionnelle qui régit la vie politique et juridique du pays, promulgue quatre ordonnances qui suspendent la liberté de la presse, dissolvent la Chambre nouvellement élue, modifient la loi électorale pour réduire le nombre de votants, et fixent de nouvelles élections au 6 et 13 septembre 1830. 



Mais Paris se soulève et des combats ont lieu les 27, 28 et 29 juillet (trois journées qu’on appellera les Trois Glorieuses). Le 2 août 1830, replié au château de Rambouillet, Charles X abdique en faveur du duc de Bordeaux, son petit-fils -son fils, le duc de Berry est en effet mort assassiné par un ouvrier bonapartiste dans la nuit du 13 au 14 février 1820. Cependant, la Chambre des députés ne l’entend pas ainsi, et le 7 août 1830, le trône est déclaré vacant. On porte alors à la tête du pays un autre roi descendant de la branche des Orléans, cousine de celle des Bourbon dont est issue Charles X : Louis-Philippe 1er, ancien duc d’Orléans, nommé roi des Français, et non plus Roi de France, pour montrer une certaine inclinaison vis-à-vis du peuple.

 

Charles X s’exile alors en Écosse à Holyrood, d’abord, puis à Prague, avant de finir sa vie à Görz, alors en Autriche mais aujourd’hui à la frontière italo-slovène (Gorizia), où il meurt du Choléra le 6 novembre 1836.

 

La Monarchie de Juillet de Louis-Philippe, instaurée le 9 août 1830, est renversée par une ultime révolution le 24 février 1848, conduisant à l’avènement de la IIe République dont le premier président ne sera autre que Louis-Napoléon Bonaparte (1808-1873), neveu de Napoléon 1er. Un Bonaparte qui rétablira l’Empire en 1852 sous le nom de Napoléon III. Le Second Empire durera jusqu’à la guerre franco-prussienne de 1870, laissant définitivement place au régime républicain en France avec la IIIe République (1870-1940).

 

Maintenant que le comte d’Artois nous est plus familier, revenons à Bagatelle. Le temps a fait son œuvre, et le pavillon des fêtes de la maréchale d’Estrées et de la marquise de Monconseil apparaît bien vétuste en cette fin de 18e siècle. Le comte d’Artois envisage ainsi de remplacer l’ancienne demeure décrépie par un château digne des soirées fastueuses qu’il souhaite y organiser. Cependant, si son premier architecte, François-Joseph Bélanger, travaille déjà à l’architecture et aux décors intérieurs de sa future résidence, le comte d’Artois ne s’attend pas à ce que son projet devienne réalité si rapidement.

 


Tout va en effet partir d’un pari initié par sa facétieuse belle-sœur, Marie-Antoinette. Nous sommes en septembre 1777. La jeune reine, qui connaît le côté joueur de son beau-frère, lui lance le défi de bâtir un château à la pointe de l’architecture de l’époque en seulement cent jours, soit juste avant le retour à Versailles de la cour alors en résidence à Fontainebleau. Le comte d’Artois accepte et parie 100 000 livres.

 


Le chantier débute le 21 septembre 1777 sous la supervision de François-Joseph Bélanger et de son apprenti, Jean-François Chalgrin, le futur architecte de l’Arc de Triomphe. Après 64 jours et nuits de travaux menés par plus de 900 ouvriers, le château de Bagatelle est prêt à être inauguré le 26 novembre suivant. Bien sûr, les décors et les aménagements intérieurs, qui ne sont pas totalement terminés, nécessiteront deux années de plus, mais le défi est largement relevé, et Marie-Antoinette n’a qu’à s’incliner, amusée par la réalisation ambitieuse de son ami et beau-frère.

 

L’année suivante, en 1778, le comte d’Artois sollicite le jardinier écossais Thomas Blaikie pour créer un jardin à l’anglaise des plus délicats, agrémenté d’étangs, de rivières, et de chutes d’eau, mais aussi de fabriques et de sculptures à l’Antique (grecques, romaines et égyptiennes).

 

Au total, le comte dépensera une somme colossale pour construire son petit château et en aménager les jardins. On parle de plus d’1,2 millions de livres, soit l’équivalent de plus de 13,5 millions d’euros: une fortune, même pour le frère d’un roi !

 

Rapidement, Bagatelle prend le surnom de ‘Folie d’Artois’. N’y voyez aucun lien avec les dépenses considérables qu’il a engendrées, puisqu’à l’époque, il est commun d’appeler ‘folie’ ce type de résidence dédiée à la fête et aux réceptions.

 


L’architecture néo-palladienne du château de Bagatelle, inspirée des palais vénitiens de la Renaissance, eux-mêmes inspirés de l’Antiquité, ainsi que le parc à l’esthétique on ne peut plus bucolique, forcent l’admiration de celles et ceux qui ont la chance d’y être invités. Parmi eux, citons par exemple le futur président des États-Unis d’Amérique, Thomas Jefferson, fidèle des lieux, ou l’architecte Friedrich Gilly, inspecteur royal des bâtiments à la cour de Prusse, pour qui le domaine est l’un des plus réussis de cette fin de siècle. Mais Bagatelle ne séduit pas que la haute société. La population qui est autorisée à se promener dans le parc, ouvert au public en l’absence du comte, adopte, elle-aussi, rapidement ce coin de campagne situé à quelques pas de Paris.

 

Le comte d’Artois organisera de somptueuses fêtes à Bagatelle. Des fêtes qui, bien souvent, dans leurs excès et leur démesure, comme dans leur liberté de mœurs, ne dérogeront pas à la tradition des lieux, et n’auront rien à envier aux soirées de la maréchale d’’Estrées et de la marquise de Monconseil.

 

Les extravagantes fêtes de la Folie d’Artois dureront jusqu’à la Révolution qui marque l’exil du comte et de nombreux aristocrates. Cependant, bien que lié à la famille royale, le domaine, nationalisé et devenu propriété de l’Assemblée nationale, est épargné par le peuple qui garde en tête les heureuses promenades dans le parc. On y organise alors des fêtes champêtres, et un restaurant ouvre dans le château qui est ainsi préservé de la destruction.

 

Après la Révolution, le château de Bagatelle est racheté en 1806 par l’empereur Napoléon 1er (règne 1804-1814) qui le rénove dans un style pompéien, et le rebaptise ‘Pavillon de Hollande’, en écho à sa résidence préférée, le ‘Pavillon d’Italie’, l’autre nom du château de Saint-Cloud. Plus tard Napoléon aménagera les lieux pour son fils, le roi de Rome né le 20 mars 1811. C’est d’ailleurs ici, à Bagatelle, qu’il donnera secrètement rendez-vous à son ex-femme, Joséphine, afin de lui présenter son seul et unique héritier, né de son mariage avec sa seconde épouse, l’impératrice Marie-Louise.



Après la chute de l’Empire, sous la Restauration (1814-1830), le domaine revient au comte d’Artois qui l’offre à son fils, Charles-Ferdinand d’Artois, duc de Berry (1778-1820). Après l’assassinat de ce dernier dans la nuit du 13 au 14 février 1820, son épouse, la duchesse de Berry, reviendra régulièrement sur les lieux de son bonheur perdu, accompagnée de son fils, Henri d’Artois, duc de Bordeaux, futur comte de Chambord et héritier du trône. Ce dernier se trouvera d’ailleurs à Bagatelle quand éclate la révolution des Trois Glorieuses, les 27, 28 & 29 juillet 1830, qui conduiront sur le trône Louis-Philippe d’Orléans, un cousin de son père.

 

Arrivé au pouvoir, le nouveau roi des Français décide de vendre les châteaux de Bagatelle et de la Muette. Le 8 octobre 1835, la Folie d’Artois et son domaine de 16 hectares sont ainsi achetés par Richard Seymour-Conway (1800-1870), marquis d’Hertford. Grand collectionneur d’art, de mobilier et d’objets décoratifs du 18e siècle, il entreprend de grands travaux de restauration du château tout en conservant la configuration et les décors d’origine, non sans quelques remaniements tout de même: l’étage est réhaussé en 1864, et le dôme est créé; à l’extérieur, des balustrades sont ajoutées pour dissimuler ce rehaussement; et à l’intérieur, de nouvelles cheminées sont créées au rez-de-chaussée et certains éléments de décors sont déplacés 



Après la chute de la monarchie de Juillet de Louis-Philippe en 1848, et l’avènement du Second Empire en 1852, Richard Seymour-Conway profitera du rattachement du Bois de Boulogne à Paris pour agrandir son parc qui s’étend désormais sur 24 hectares. Il y fait élever de nouvelles fabriques -dont un kiosque chinois-, et y installe de nombreuses statues qu’il a chinées.

 

Le marquis d’Hertford résidera souvent dans sa résidence de Bagatelle où il recevra régulièrement l’empereur Napoléon III, l’impératrice Eugénie, et leur fils, le prince impérial, pour qui il fera installer un manège de chevaux. Bagatelle est si réputé à cette époque, que la reine Victoria en personne y sera reçue à l’occasion de l’Exposition Universelle de Paris en 1855.

 


À la mort de Richard Seymour-Conway, en 1870, le domaine revient à son fils, lord Richard Wallace. Ce dernier continue les transformations du château grâce au talent de l’architecte de son père, Léon de Sanges. En 1872, pour agrandir la cour d’honneur, il détruit le pavillon dit ‘des Pages’ qui s’y trouvait jusqu’alors, et reconstruit deux petits pavillons pour les gardiens, toujours visibles aujourd’hui. Mais son œuvre la plus remarquable est certainement le Trianon de Bagatelle, dont le nom fait directement référence au Petit Trianon de Versailles. Ce bâtiment, Wallace le fait ériger pour son fils Edmond qui n’y viendra pourtant jamais et qui, malheureusement, mourra jeune.

 

Point anecdote: Saviez-vous que Richard Wallace sera l’inventeur des fontaines Wallace que l’on trouve un peu partout dans Paris ?


Si vous avez déjà arpenté les rues de Paris, vous avez certainement remarqué les célèbres fontaines Wallace, en fonte vert foncé et décorées de 4 cariatides au milieu desquelles coule un filet d’eau potable. On en dénombre 107 dans la capitale aujourd’hui. Leur nom est directement lié à leur inventeur, Sir Richard Wallace.

 


L’eau a toujours été un enjeu à Paris. Dès Philippe Auguste (règne 1180-1223), la population grandissante accentue la pollution des eaux de la Seine. Deux aqueducs souterrains sont créés pour alimenter trois nouvelles fontaines dont celle des Innocents, mais c’est insuffisant. Si à la Renaissance on réalise des fontaines monumentales, on ne comptera à Paris que 35 fontaines en 1669 et 127 en 1835. Ce sont, avec la Seine polluée, les seuls points d’accès à l’eau (l’eau courante dans les immeubles, bien qu’expérimentée en 1784, n’est pas encore d’actualité). Sous le Premier Empire (1804-15), quand Napoléon demande à Chaptal, préfet de Paris, ce qui ferait plaisir aux Parisiens, il se voit répondre: «Donnez-leur de l’eau!». L’eau manque, elle est souvent insalubre et draine des maladies. Seuls les plus riches peuvent se payer de l’eau potable. Aussi, longtemps, les plus pauvres n’ont eu de choix que de boire du vin ou de la bière pour ‘se désaltérer’ sans se contaminer. Et bien que Napoléon III ait amélioré l’accès à l’eau potable avec les réaménagements d’Haussmann, et la création des égouts et l’acheminement d’eau fraîche par Eugène Belgrand, Directeur de l’Eau et des Egouts de Paris, la situation restera critique. Elle se détériorera même pendant la guerre franco-prussienne de 1870-71 qui voit s’accentuer le manque d’eau potable avec le siège de Paris par les Prussiens, puis lors des affrontements liés à l’épisode de la Commune de Paris (18 mars-28 mai 1871).

 

C’est alors qu’intervient Richard Wallace. Resté à Paris pendant la Commune, il a vu les plus pauvres, dont les enfants, s’enivrer et se condamner à une vie de misère à cause d’un manque d’eau potable abordable. Fortuné et philanthrope, il décide d’agir et d’offrir à la ville des points d’eau potable gratuits. Amateur d’art, il souhaite des fontaines décoratives afin de joindre l’utile à l’agréable. Il dessine alors un modèle et fait appel au sculpteur nantais Charles-Auguste Lebourg qui adaptera ses croquis et fera de ses ‘fontaines Wallace’ de véritables œuvres d’art. 50 seront installées dès 1872, puis Wallace en commandera 10 de plus en 1876 et 10 autres en 1879. Quatre modèles existent aujourd’hui mais Richard Wallace en concevra deux (le classique autoportant et un mural).

 


La fontaine Wallace mesure 2.75 mètres et pèse 590kg. Wallace l’a voulue «assez grande pour être vue de loin, mais pas trop grande pour détruire l’harmonie du paysage environnant». En fonte vert foncé pour se fondre dans le paysage, les fontaines Wallace présentent quatre cariatides qui, dit-on, seraient inspirées de celles de la salle des Cariatides réalisées par Jean Goujon au Louvre. Elles représentent quatre vertus: la gentillesse, la simplicité, la charité et la sobriété, même si certains y voient les quatre saisons. Le filet d’eau continue assurait la qualité de l’eau et empêchait les chiens errant d’y boire, tout comme les chevaux qui ne pouvaient y accéder, l’espacement entre les cariatides étant trop étroit. Si, à l’origine, deux tasses de fer blanc étaient accrochées à des chainettes pour permettre d’y boire, elles ont été retirées en 1952 pour des raisons évidentes d’hygiène. De nombreuses répliques existent aujourd’hui, mais pour reconnaître les fontaines originales, fiez-vous aux inscriptions CH. LEBOURG SC, du nom du sculpteur, avec l’année 1872, et VAL D’OSNE, du nom de la fonderie.

 

Pensez à regarder quand vous en croiserez. Les originales ne sont qu’à Paris et il ne reste plus qu’une fontaine Wallace murale d’époque dans le 5e arrondissement.

  

Revenons à Bagatelle. C’est ici que Richard Wallace finit sa vie, reclus dans son château. A sa mort en 1890, son épouse, Julie Castelnau, plus connue comme Lady Wallace, hérite de tous ses biens en France et au Royaume-Uni. En 1894, à sa mort, elle lègue la majeure partie de la collection de son mari à la nation britannique, à la condition que les œuvres, les objets d’art et le mobilier soient exposés au public. La résidence familiale anglaise, Hertford House, est alors transformée en un musée dédié aux collections de Richard Wallace. C’est la célèbre Wallace Collection qui ouvre en 1900 et que l’on peut toujours visiter aujourd’hui. Bagatelle, comme l’immeuble que Richard Wallace possédait rue Laffite, à Paris, sont légués à son secrétaire et homme de confiance, John Murray Scott. Ce dernier vend le château et son domaine à la ville de Paris en 1905. La réputation sulfureuse de Bagatelle reprendra alors un peu de sa superbe à cette époque, le château, fermé au public, devenant un lieu de rendez-vous prisé pour les amants clandestins. Notez qu’il en sera de même jusque dans les années 1970.

 

Pour ce qui est du parc, le commissaire aux Jardins de la Ville en 1905, Jean Claude Nicolas Forestier est chargé de le réhabiliter. En 1907, il crée la sublime roseraie de Bagatelle et lance le Concours international de roses nouvelles qui y est encore organisé chaque année au mois de juin, et qui continue à animer les jardins.

 

La notoriété du château et de son domaine ne faiblira pas au fil des années, au point que de nombreux événements prestigieux y seront organisés: en juillet 1938, le président de la République Albert Lebrun invitera le roi George VI et la reine consort Élizabeth à une Garden party en l’honneur des relations franco-anglaises; en mai 1974, une réception sera organisée en l’honneur du président nouvellement élu, Valéry Giscard d’Estaing; en 1992, la reine Élizabeth II et le prince Philip visitent le rosarium accompagnés du président François Mitterrand et du maire de Paris Jacques Chirac; et en 1995, le prince Joachim du Danemark inaugure ici la nouvelle variété de rose Flora Danica.



Bien plus récemment, en 2019, la Fondation Mansart se voit confier la mission de restaurer le château de Bagatelle dans l’optique d’une réouverture d’ici la fin 2024. Lancés en 2021, les travaux doivent à la fois rénover les bâtiments comme les décors, tout en optimisant l’accueil du public.

 

À propos de la Fondation Mansart

Créée en 1983 pour préserver et restaurer le château de Maintenon, la Fondation Mansart a reçu en 2005 le statut de «Fondation reconnue d’utilité publique» et de «Fondation abritante» par décret du Premier ministre. La Fondation Mansart vise à faire revivre un patrimoine de grand intérêt, qu’il soit historique ou contemporain, y compris les bâtiments architecturaux (monuments, résidences, établissements industriels), ainsi que les sites naturels et paysagers comme les parcs, les jardins botaniques et les arboretums. La Fondation Mansart veille à ce que ces lieux remarquables, qui constituent une part essentielle du patrimoine français et ont façonné son art de vivre au fil des siècles, soient préservés pour les générations futures. La Fondation du Château de Bagatelle a été créée sous l’égide de la Fondation Mansart afin de collecter des fonds auprès de donateurs privés, d’institutions et les entreprises, tant en France qu’à l’étranger, pour mener à bien la restauration du château et l’ouvrir à nouveau au public.

(extrait du texte fourni par la Fondation Mansart)

 

Après rénovation, les espaces sous terrasses du château seront dédiés à des expositions permanentes (sur l’histoire des lieux par exemple), mais aussi à des expositions temporaires qui pourront également prendre place dans l’enceinte du Trianon. Le rez-de-chaussée du château sera, lui, dédié au 18e siècle et plus particulièrement à l’époque du comte d’Artois, tandis que les pièces du premier étage seront proposées chacune dans une configuration en lien avec l’un des propriétaires marquants du domaine. 



Enfin, et en parallèle, la Fondation Mansart est engagée dans la restauration d’autres sites et bâtiments situés sur le domaine de Bagatelle ou à proximité. L’idée est ainsi de mettre en avant trois sites qui couvrent une période de trois siècles: le château, emblématique du 18e, le Trianon, bâti au 19e, et la Villa Windsor, construite au 20e siècle (en 1929 exactement) qui doivent tous ouvrir prochainement au public.

 

Lors de ma visite, seuls les extérieurs du château de Bagatelle, et une partie des décors du rez-de-chaussée étaient rénovés. J’ai cependant eu la chance de visiter aussi l’étage et le toit, et d’explorer ainsi, non sans excitation, ces espaces chargés d’histoire, encore ‘dans leur jus’. Je vous propose maintenant de me suivre à l’intérieur du château de Bagatelle et de faire un tour d’horizon de ses pièces les plus emblématiques.

 

Notez que dans la version podcast de cette visite, vous pouvez retrouver mon entretien avec Océane Léonard, assistante chargée de Communication au sein de la Fondation Mansart, qui vous en dit plus sur l’histoire et les secrets du château de Bagatelle, ainsi que sur ses actualités.

 

L'EXPLORATION SANS FILTRE DU CHÂTEAU DE BAGATELLE

 

La visite du château de Bagatelle commence par les extérieurs. L’entrée se fait par la cour d’honneur, que l’on voit ici dans sa configuration de 1872 après les travaux menés par Léon de Sanges pour Richard Wallace. Le pavillon des Pages érigé par le comte d’Artois n’est donc plus visible, puisqu’il a été détruit et remplacé par deux pavillons de gardiens à la demande de Sir Wallace. Autour de la cour, on peut également observer les terrasses et le nouveau Trianon établis à la même époque. 



LES FAÇADES & LES EXTÉRIEURS

 

Une fois la cour d’honneur traversée, nous sommes face à l’entrée du château de Bagatelle. D’ici, l’architecture typiquement néo-palladienne nous apparaît clairement. Pour rappel, le style palladien, lancé à la Renaissance en Vénétie par l’architecte italien Andrea Palladio, reprend les proportions de l’architecture romaine classique et le style des façades des temples de l’Antiquité. Le néo-palladianisme, très prisé aux 18e et 19e siècles, s’inspire ainsi des codes palladiens du 16e siècle pour créer une architecture à l’antique, agrémentée de colonnes, de frises et autres pilastres.



La balustrade que nous voyons ici au niveau du toit a été ajoutée par Lord Hertford en 1862 pour cacher les combles et le nouvel étage qu’il vient de faire élever. Sur le haut de la façade, on peut lire «Parva sed apta», soit «petite mais commode», des mots en latin choisis par le comte d’Artois pour qualifier sa nouvelle demeure. À l’origine, cette expression se trouvait au-dessus du porche d’entrée de la cour, mais elle a été déplacée ici au 19e siècle avec les travaux de Sir Wallace.

 

Pour finir sur l’architecture extérieure, en faisant le tour du château, côté jardin, on remarque des sculptures en marbre représentant des Sphinges. On dit que les traits du visage féminin de ces statues seraient ceux de Rosalie Duthé, courtisane avant l’heure et danseuse à l’opéra de Paris, qui sera aussi l’une des maîtresses du comte d’Artois.



L’INTÉRIEUR DU CHÂTEAU

 

Maintenant que nous avons fait le tour du pavillon, entrons l’explorer. Commençons par le rez-de-chaussée, aménagé de six pièces.

 

LE VESTIBULE & L’ESCALIER


Comme les visiteurs privilégiés du comte d’Artois, nous sommes accueillis dans le vestibule qui marque le passage des espaces publics (la cour et le parc) vers les espaces privés.

 

Par ses volumes et ses effets en trompe-l’œil, cette pièce d’entrée doit impressionner et donner un esprit de grandeur à ce petit château. On remarque alors les quatre médaillons en stucs qui mettent en scène les triomphes de l’Amour. Réalisés par Nicolas Lhuillier (1736-1793) dans un style à l’antique aux accents érotiques, ils confirment aux visiteurs, dès leur arrivée, qu’ils sont bien, ici, dans un lieu de fêtes débridées.

 



À droite, le vestibule ouvre sur la salle de jeux (ou de billard), à gauche sur la salle à manger, et en face sur un escalier en colimaçon qui conduit à l’étage. Le style de cet escalier, pourtant d’origine, est assez moderne, et servira d’ailleurs de modèle pour d’autres escaliers de l’époque. Il présentait, en outre, une petite originalité qui plaisait beaucoup aux messieurs qui attendaient dans le vestibule: une ouverture à mi-hauteur de l’escalier laissait en effet apparaître les chevilles des dames qui montaient les marches.

 

Au pied de l’escalier, le poêle date également de la construction du château. Révolutionnaire à l’époque, il permettait, par un jeu de tuyauterie, de chauffer les pièces attenantes grâce à des grilles au sol qui soufflaient de l’air chaud. Le buste qui s’y trouve est une reproduction de celui de Richard Wallace, l’original étant désormais exposé à la Wallace Collection de Londres. À l’époque du comte d’Artois, un candélabre représentant une muse était placé ici.



LA SALLE À MANGER

 

Depuis le vestibule, nous gagnons, à gauche, la salle à manger du comte d’Artois. Ici, tout n’est que dorures et décors luxueux. Le mobilier -qui n’était pas installé lors de ma visite- était signé Georges Jacob. Ici, on peut observer des boiseries sculptées de symboles de fête, mais aussi une très belle cheminée en marbre qu’encadrent deux faunes en bronze réalisés par l’artiste bronzier Pierre Gouthière (1732-1813).



Les décors peints du plafond, reprenant l’image d’un ciel bleu, sont postérieurs aux aménagements du comte d’Artois. À l’origine, on y trouvait des arabesques peintes par Jean-Démosthène Dugourc et Jean-Marie Dussaux.

 

Enfin, sous le miroir, à l’extrémité de la pièce, le superbe rafraîchissoir en stuc aux allures de porphyre et de bronze doré est, quant à lui, bien contemporain de la construction du château. Pour la petite histoire, cette vasque qui servait à rafraîchir les boissons lors des fêtes de Bagatelle a été retrouvée enterrée dans les jardins, ce qui a certainement permis d’éviter qu’elle soit vendue ou détruite. Nettoyé et restauré, le rafraîchissoir a, depuis, repris sa place au sein de la salle à manger.



LE SALON DE JEUX OU DE BILLARD

 

Situé à droite du vestibule, parallèlement à la salle à manger, la salle de jeux, encore appelée salon de billard, est également richement décoré de boiseries dorées. On y observe notamment des symboles militaires qui font écho à la carrière du comte d’Artois dans l’armée.



Comme sa jumelle, la salle à manger, le salle de jeux était ornée de peintures de Dugourc et Dussaux, et meublé par Georges Jacob.

 

LE GRAND SALON OU SALON DE MUSIQUE

 

Le salon de musique, que l’on rejoint via la salle à manger ou la salle de jeux, est certainement la pièce la plus remarquable et la plus belle du château de Bagatelle. Lorsque l’on y pénètre, on est immédiatement saisi par la beauté des décors et l’ampleur des volumes de cette pièce de réception circulaire, située dans une rotonde, sous coupole.



Autour de nous, huit arcades rythment l’architecture des lieux, séparées par huit pilastres décorés des stucs de Nicolas Lhuillier (1736-1793). Réalisés d’après les dessins de François-Joseph Bélanger, ces décors sculptés représentent, en alternance, la muse de l’Harmonie jouant de la lyre, et celle de la ‘Renommée trônant sur un globe’, dite aussi la ‘muse à la Trompe Marine’. Au-dessus de ces figures symboliques, Jean-Démosthène Dugourc a imaginé des petits camées à l’antique, présentés sur un fond de marbre en trompe-l’œil.

 

En soirée, ces reliefs élégants scintillent à la lueur des flammes des bougies. En journée, l’oculus du sommet de la coupole, ainsi que les trois portes-fenêtres situées sous arcades et ouvrant sur les jardins, éclairent des rayons du soleil les couleurs délicates des boiseries et des décors.

 

Autres éléments remarquables ici: le magnifique parquet en étoile, qui répond à l’arrondi de la coupole; ou encore la cheminée en marbre blanc qui date, elle, des réaménagements de lord Hertford en 1862, et qui est surmontée d’un grand miroir placé en face des portes-fenêtres afin de renvoyer la lumière naturelle à l’ensemble de la pièce.



Enfin, on trouvait ici un élégant mobilier de Georges Jacob et Jean-Baptiste Boulard, absent lors de ma visite, qui se composait, entre autres, de huit fauteuils et seize chaises réparties autour d’une table ronde créée par Pierre Denizot.

 

Mais la particularité de ce salon, élément central des réceptions du comte d’Artois, c’est la présence des deux petites pièces attenantes, dont le rôle laisse supposer le caractère quelque peu libertin des fêtes organisées ici.

 

LE BOUDOIR

 

Situé à droite lorsque l’on fait face aux fenêtres du salon de musique, le boudoir surprend d’abord par la bassesse de son plafond. En réalité, il est placé sous un demi-étage que rejoignaient les musiciens afin de jouer lors des fêtes du comte d’Artois. Une fenêtre ouvrant sur le salon de musique permettait alors aux instruments d’être entendus par les convives.



Les décors peints de ce boudoir, comme ceux des portes réalisées par Dussaux et Dugourc, sont d’une délicatesse et d’un raffinement exceptionnels. Les murs étaient également agrémentés de tableaux d’Antoine Callet. Ce boudoir dispose par ailleurs d’une alcôve qui accueille un canapé ou un lit de repos dont on peut imaginer l’usage à la grande époque des soirées légères du comte d’Artois.

 

LE CABINET DES BAINS

 

Plus surprenant que ce premier boudoir, on trouve, à gauche du salon de musique, une autre pièce faisant, elle, office de cabinet des bains. Cela peut, en effet, paraître curieux qu’une telle pièce prenne place directement à proximité d’un salon de réception.

 

L’explication tiendrait en réalité au manque de place à l’étage qui ne permettait pas d’accueillir une salle de bain digne de ce nom. On aurait ainsi transformé en cabinet des bains ce second boudoir prévu à côté du salon de musique.

D’autres langues plus acerbes donneront une seconde explication, plus osée, mais invérifiée jusqu’à aujourd’hui. En effet, lorsque l’on parle de fête à Bagatelle, on parle bien de toutes sortes de fêtes. Et dans ce haut lieu du libertinage, il est facile d’imaginer l’utilité quelque peu sulfureuse d’un tel cabinet des bains partagé par les différents convives.



Quoi qu’il en soit, ce boudoir-cabinet des bains est décoré de peintures signées Hubert Robert et Antoine Callet. Les originaux ne sont plus à Bagatelle, mais on peut y admirer des reproductions qui laissent à imaginer l’atmosphère de cette petite pièce de bain. Quant aux créations d’origine, celles d’Hubert Robert, ‘Les Musiciens ambulants’, ‘La Fontaine’, La Balançoire’, l’Entrée d’une caverne’, la Danse’ et la Baignade’, sont exposées au Metropolitan Museum of Art de New York (le Met).

 

Il faut, en outre, savoir que ce cabinet des bains pouvait être retransformé en boudoir à tout moment, grâce à sa baignoire qui, cachée dans une niche, pouvait devenir un canapé.

 

LES ÉTAGES

 

Une fois la fête terminée, il est temps de gagner les étages supérieurs qui, des chambres aux toilettes à l’anglaise en passant par les espaces de service, accueillaient les pièces privatives du château. Lors de ma visite, elles n’étaient pas encore restaurées, mais leur découverte dans un état brut et marqué par les empreintes du passé (restes de décors, graffitis d’autrefois…) n’en a été que plus émouvante.



À l’époque du comte d’Artois, on dénombrait ainsi, à l’étage, cinq chambres, dont une plus grande donnant sur la cour d’honneur pour le propriétaire des lieux; trois antichambres et deux cabinets. Beaucoup de ces pièces étaient en mauvais état lors de ma venue, mais on arrive malgré tout à bien imaginer la richesse des décors, à travers les cheminées en marbres toujours présentes, les restes de dorures qui ornent encore les boiseries, ou encore, dans certaines chambres, les peintures des portes qui témoignent du raffinement que l’on trouvait ici.



Il convient par ailleurs de nous attarder sur la chambre à coucher du comte d’Artois. Cette pièce avait pour originalité d’être conçue comme une véritable tente de campement militaire, avec un lit dont le cadre constitué de lances était surplombé de toiles plissées qui, tendues depuis le plafond, redescendaient de chaque côté. On peut d’ailleurs encore voir le crochet en forme d’aigle qui permettait de les suspendre.

 

Si cette chambre doit bien être rénovée dans son état «époque d’Artois», les autres pièces de l’étage seront réaménagées pour évoquer les principaux propriétaires successifs du domaine (Napoléon, la duchesse de Berry, Lord Hertford, ou encore Richard Wallace).

 

Enfin, pour conclure ma visite, j’ai eu la chance de pouvoir explorer les combles, avant de me rendre sur les toits, où j’ai pu m’émerveiller d’une vue incomparable sur l’ensemble du parc de Bagatelle.



C’est donc en hauteur, sur son toit, que se termine ma découverte de ce sublime petit château de réception. Ma curiosité et ma passion pour le patrimoine historique ont été plus que comblées par cette visite unique et exceptionnelle, et je ne peux que remercier la Fondation Mansart pour cela. Quoi qu’il en soit, j’ai maintenant hâte de redécouvrir les espaces intérieurs du château de Bagatelle, mais aussi le Trianon, une fois que les rénovations et réaménagements seront terminés. Je ne peux alors que vous conseiller de vous y rendre pour explorer ces lieux encore bien trop secrets pour de nombreux Parisiens et touristes.

  

SOURCES

  •  Visite guidée du château de Bagatelle

  • Brochure proposée par la Fondation Mansart

  • Article Wikipedia 

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