Rendez-vous aujourd’hui au Petit Trianon à Versailles. Une demeure créée et bâtie entre 1761 et 1768 pour Madame de Pompadour, la favorite et amie du roi Louis XV, finalement habitée par sa dernière maîtresse, Madame du Barry, et enfin offerte en 1774 par Louis XVI à son épouse la reine Marie-Antoinette qui lui sera à jamais associée.
Dans le jardin français du Petit Trianon se trouve un lieu insolite et insoupçonné : le Petit Théâtre de la Reine. Il a été construit par Richard Mique à la demande de Marie-Antoinette entre 1778 et 1780 en lieu et place d’une serre de Louis XV. Avant sa construction, la reine, férue de théâtre, organisait régulièrement des pièces jouées sur des installations provisoires, comme dans la galerie du Grand Trianon par exemple.
Sobre d’extérieur, abrité dans un bâtiment simple d’apparence, le Petit Théâtre est en revanche richement décoré à l’intérieur. L’entrée réalisée à l’Antique est encadrée de deux colonnes ioniques qui soutiennent un fronton où un Apollon enfant trône entouré des allégories de la Tragédie et de la Comédie. Une fois à l’intérieur, la coursive qui contourne la salle du théâtre nous conduit rapidement en son centre. Si comme dans toute salle de spectacle, il y règne un calme feutré et apaisant, s’ajoute ici le sentiment étrange de pénétrer dans l’intimité de la reine, dans ce lieu qu’elle aimait et où, heureuse, elle a passé de nombreuses soirées entourées de ses amis les plus proches.
En effet, il faut savoir que tout le monde ne pouvait pas assister aux représentations du Petit Théâtre de la Reine. On est ici dans un théâtre de société, et non un théâtre d’apparat. C’est-à-dire qu’il est réservé à des invités triés sur le volet, des proches comme des personnalités importantes, dont l’empereur Joseph II, son frère, et le roi de Suède Gustave III. Pour pouvoir assister à une représentation, il fallait ainsi présenter un jeton remis par la reine, qui permettait de traverser les jardins du Petit Trianon et d’entrer au théâtre. Ici, on représentait des pièces de Jean-Jacques Rousseau ou de Sedaine, mais aussi des spectacles commandés aux artistes de l’Académie Royale de Musique comme Glück et Grétry.
Mais le plus étonnant - et choquant - pour l’époque, c’est que Marie-Antoinette en personne s’y produisait régulièrement devant un public sélectionné avec sa troupe d’acteurs, la ‘troupe des Seigneurs’, à laquelle son amie la princesse de Lamballe ou encore le comte d’Artois, frère de Louis XVI, appartenaient. Audacieuse, mais aussi inconsciente de l’image que cela renverrait, la reine interprétera le rôle de Rosine dans le Barbier de Séville, une jeune ingénue qui cherche à s’émanciper de l’homme qui cherche à l’épouser et qu’elle n’a pas choisie. Un rôle controversé et osé pour une reine, au cœur d’une pièce satirique qui fit polémique et qui sera même, un temps, interdite par la censure royale.
Si vous avez la chance de visite le Petit Théâtre, prenez le temps de bien en observer les décors. Conçus par les artisans des Menus Plaisirs en papier mâché, carton-pâte et en bois, des matériaux rapides d’utilisation et peu onéreux, ce théâtre jouit d’une très bonne qualité acoustique. La salle dispose de 250 places assises, mais aussi de loges. Au premier étage se trouve la loge royale de Marie-Antoinette qu’elle pouvait fermer à l’aide d’une grille si elle souhaitait plus d’intimité. Au second niveau, d’autres loges grillagées permettaient à certains invités de venir incognito. Le comte Florimond de Mercy-Argenteau, ambassadeur du Saint-Empire Romain Germanique à Paris, qui avait négocié le mariage du futur Louis XVI avec la jeune archiduchesse Marie-Antoinette pour consolider l’alliance franco-autrichienne, viendra régulièrement ici, dans ces loges grillagées, épier la reine dans son théâtre pour le compte de sa mère, l’impératrice Marie-Thérèse d’Autriche.
Décoré aux couleur royales, bleu, blanc et or, réhaussées de faux-marbre à brèche violette, le théâtre présente de nombreux éléments sculptés. Autour de la corniche, on peut observer une guirlande de fleurs portée par des enfants. Face à la salle, dans les coins du plafond, des angelots jouant de la lyre (à droite) et de la harpe (à gauche) se répondent. Au centre et en hauteur de scène, le M et le A de Marie-Antoinette trônent soutenus par des muses. Mais ici on remarque le masque du soleil et ses rayons derrière le chiffre de la reine. Il s’agit de rappeler la présence du roi car, si ce théâtre est celui de la reine, on reste, ici comme ailleurs, à la cour de Versailles. Enfin la scène, surmontée d’un faux rideau en stuc, est encadrée par deux torchères représentant des cornes d’abondance.
Pour finir, il faut savoir que ce théâtre disposait d’effets scéniques professionnels grâce à un système de cintres et de décors sophistiqués créés par le machiniste de l’opéra Royal Pierre Boullet. Enfin, la fosse d’orchestre en contrebas de la scène pouvait accueillir 20 musiciens.
Si on peut généralement apercevoir le Petit Théâtre de la Reine à travers une vitre ouverte au public, j’avais toujours rêvé d’y entrer. J’ai eu la chance de le faire lors de ma visite guidée du Petit Trianon. Une visite que vous pouvez retrouver dans l’article et le podcast dédiés sur ce blog, et que je vous recommande ! Elle est passionnante et elle permet d’ouvrir les portes de ce lieu sublime et témoin des soirées intimes de Marie-Antoinette.
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