LÉGENDES ET RÉALITÉ DES CLOCHES DE PÂQUES
- Igor Robinet-Slansky
- il y a 9 minutes
- 5 min de lecture
À Pâques, elles volent dans le ciel, semant des œufs en chocolat dans les maisons et les jardins… Mais d’où vient cette curieuse légende des cloches de Pâques ? Et d’ailleurs, savez-vous que ces-mêmes cloches qui habitent nos églises ont toutes un prénom, comme de véritables personnes ? Partons à la rencontre de ces grandes dames de bronze qui rythment nos traditions depuis des siècles.
LES CLOCHES DE PÂQUES, DE ROME À NOS JARDINS
La tradition des cloches de Pâques remonte au 7e siècle. À cette époque, l’Église interdit que l’on fasse sonner les cloches entre le Jeudi saint et le matin de Pâques, en signe de deuil pour commémorer la mort du Christ. Ce silence marque le début d’une légende : contraintes de se taire, les cloches, dit-on, en profiteraient pour s’envoler vers Rome pour recevoir la bénédiction du Pape.
Et comme toute légende a besoin d’un brin de magie, on raconte qu’elles prennent leur envol en se dotant d’ailes, ou qu’elles sont parfois escortées d’angelots.
Quoi qu’il en soit, lorsqu’elles reviennent le dimanche de Pâques au matin, elles laissent tomber sur leur passage des œufs, symboles de vie et de renaissance, mais aussi, au fil du temps, du chocolat sous toutes sortes de formes (poules, lapins, poussins, poissons…), avant de reprendre leur place dans les clochers et de chanter de nouveau.
Cette jolie histoire entre mythe et religion est une belle manière de lier le spirituel à la gourmandise, et d’ancrer une fête religieuse dans le cœur des petits comme des grands.
ET AILLEURS EN EUROPE ?
Si les cloches volantes dominent les traditions françaises, ailleurs en Europe, d’autres personnages sont chargés d’apporter les œufs de Pâques. En Allemagne, en Suisse, en Autriche ou encore en Alsace, c’est un lièvre de Pâques – ou un lapin – qui dépose les friandises dans les jardins ou les cache à l’intérieur des maisons. Cette figure trouve ses racines dans des cultes anciens liés au renouveau de la nature et à la fertilité, le lièvre et le lapin étant des symboles païens de fécondité.
Dans d’autres régions, comme en Angleterre ou dans les pays nordiques, on parle plutôt de l’"Easter Bunny", le lapin de Pâques, devenu un incontournable des décorations et des chocolateries. En Italie, ce sont les cloches qui sont les vedettes, comme en France, tandis qu’en Espagne ou en Grèce, les œufs teints en rouge sont le symbole central de la résurrection.
Ces traditions, qu’elles soient religieuses, folkloriques ou gourmandes, ont toutes un point commun : elles célèbrent le retour de la vie au printemps, la renaissance après l’hiver, dans un joyeux mélange de croyances anciennes et de fêtes modernes.
LES CLOCHES DE PÂQUES - ET LES AUTRES - ONT UN PRÉNOM
Revenons aux cloches. Si elles peuvent s’envoler vers Rome, c’est peut-être aussi parce qu’elles sont bien plus que de simples objets. Depuis le Moyen Âge, chaque cloche reçoit en effet un nom au moment de sa bénédiction, un véritable baptême religieux inspiré de celui des humains. Elle a un parrain, une marraine, est ointe du Saint-Chrême - l’huile sainte-, aspergée d’eau bénite… et parfois même vêtue d’une robe blanche !
Cette cérémonie, qui remonte au 12e siècle, illustre combien les cloches sont perçues comme des personnes. Quasi morphologiques, les termes utilisés pour les décrire témoignent de cette humanisation : elles ont ainsi une couronne (leurs anses), un cerveau (le sommet), une robe (leur corps)… Comme si on leur prêtait une âme.
Au départ, elles étaient gravées du nom de leur donateur ou de leur ville d’origine. Mais très vite l’Église choisit de les nommées d’après des saints, des saintes, des anges ou la Vierge. Résultat : chaque cloche devient un membre à part entière de la communauté paroissiale.
AU SACRÉ-CŒUR, LA SAVOYARDE ET SES SŒURS
Direction Montmartre. À l’arrière du Sacré-Cœur, dans son haut campanile de style romano-byzantin, repose une cloche hors norme : la Savoyarde. Fondue à Annecy et offerte par les diocèses de Savoie, elle a pour nom complet Françoise-Marguerite.
Avec ses 19 tonnes, ses 3 mètres de hauteur et ses 9 mètres de diamètre, elle est la plus grosse cloche de France encore en fonctionnement. Depuis 1969, elle est accompagnée de quatre petites sœurs, au doux nom de Félicité, Louise, Nicole et Élisabeth. Une véritable famille de bronze au service de la foi… et des traditions.
NOTRE-DAME : DES VOIX SÉCULAIRES ET UN NOUVEAU CHŒUR
Autre lieu emblématique : la cathédrale Notre-Dame de Paris qui a rouvert ses portes fin 2024. Elle dispose de 21 cloches de bronze réparties entre ses deux tours, la flèche et le transept nord.
La plus célèbre d'entre elles est le grand bourdon Emmanuel, fondu en 1686 et pesant environ 13 tonnes. Considérée comme l'une des plus belles cloches d'Europe, elle est connue pour son timbre exceptionnel. Seule rescapée des fontes révolutionnaires, elle a pour parrain Louis XIV et résonne lors des grandes célébrations nationales et religieuses, comme à l’occasion des messes de Pâques.
Réinstallées au fil du 19e siècle, les autres cloches de la cathédrale ont toutes été remplacées en 2013. À l’occasion du 850e anniversaire de Notre-Dame, huit nouvelles cloches ont également pris place dans la tour Nord pour redonner à la cathédrale son harmonie sonore d’origine, disparue à la Révolution.
Elles portent toutes un nom chargé de sens : Marie, Gabriel, Anne-Geneviève, Denis, Marcel, Étienne, Benoît-Joseph, Maurice et Jean-Marie. Fabriquées par la fonderie Cornille-Havard en Normandie, elles ont chacune leur propre timbre, leur personnalité sonore, leur mémoire. Une polyphonie de bronze qui rend hommage à l’histoire de Notre-Dame et à son rôle dans le cœur des Parisiens.
En 2019, les cloches principales ont heureusement été préservées de l’incendie dévastateur de Notre-Dame. Nettoyées et restaurées, elles ont été replacées en novembre 2024.
Trois nouvelles cloches ont été ajoutées récemment, dont une utilisée lors des Jeux Olympiques de Paris 2024. Cette "cloche olympique", offerte par le comité organisateur, a été installée aux côtés de deux autres, Chiara et Carlos, enrichissant ainsi le patrimoine sonore de la cathédrale.
Aujourd'hui, les cloches de Notre-Dame continuent de rythmer la vie parisienne, appelant à la prière, célébrant les événements majeurs et symbolisant la résilience et l'espoir de toute la nation.
ET SI ON LES REMERCIAIT ?
Le dimanche de Pâques, quand vous chercherez des œufs dans le jardin ou que vous entendrez les cloches sonner à toute volée, pensez à Françoise-Marguerite, Félicité, Emmanuel, Gabriel, et toutes les autres. Elles ne sont pas seulement des instruments faits de métal : elles sont les gardiennes du temps et passeuses de traditions.
Et si vous avez des enfants autour de vous, racontez-leur cette légende du voyage à Rome. Une belle manière de transmettre un petit bout de notre patrimoine immatériel, entre légende, histoire et poésie.